lundi 21 septembre 2020

Dans cet état

 En revenant hanter la salle des machines du blog. Je retombe sur cet article, dans les brouillons. Je me demande pourquoi je n'ai pas appuyé sur "Publier". Et puis je me rappelle que j'ai tout fermé à la hâte quand j'ai envoyé par erreur un message à des élèves avec l'adresse mail qui correspond à ici. Maintenant que tout est nouveau, l'établissement, les élèves, l'année scolaire, il n'y a plus de raison, vraiment, alors je vous laisse cetétatlà. 


"Pourquoi faut-il que tu te mettes dans cet état ?"
"Qu'est-ce qui te met dans cet état ?"

Et caetera. 

Cet état des choses, des lieux, cet état sans majuscule.
Sept états membres dans l'union de ce moi, cet état fédéral, ouverture ou repli, aux frontières de l'oubli. 
Cetétatlà
Comme un échalas en moins droit, un étale en plus las ou un été là-bas. 

Les mots me passent au travers. Il fait nuit encore une fois. La fatigue me saisit devant les innombrables travaux d'élèves qui surgissent dans les boites mails et quand je ferme tout, impossible d'aller dormir. Il y a encore de la musique dans le casque et le fourmillement au bout des doigts. 
Je suis dans cet état là. 
Celui qui me pousse à rester sur le clavier ou à reprendre un carnet, à rester dans le bureau. Celui qui me pousse à silencier les envies de sommeil. 
Curieux comme cetétatlà, qui parait être le plus sensible, le plus présent, le plus ancré me requiert et m'absente de tout (attention, ça ressemble beaucoup trop à absous de tant), me soustrait à la lourdeur du sommeil, à l'invitation moelleuse du lit. 
Cetétatlà, comme si tout ce qui vagabonde à l'intérieur était soudain dehors, plus fort, beaucoup plus fort que le corps au présent, que les bras amoureux, que la tiédeur du lit, que le souffle endormi, que le délassement tant attendu. 

Parfois j'ai peur de le perdre, cetétatlà, de me dissoudre dans le confort de la maison, de la raison. Parfois je le perds, je crois. C'est une des raisons (et j'entendais déraison) pour laquelle je n'écris plus beaucoup ici et là. J'égare plus souvent mes nuits dans le sommeil et je délaisse l'île à rhizome qui me tient lieu d'écriture. La douceur m'agrippe et s'en extraire est difficile.

N'y-a-t-il donc que la fatigue pour arriver à ce dépouillement nécessaire, au coeur des choses ? Que l'épuisement de toutes les autres ressources pour effeuiller enfin la peur et arriver là où il y a assez d'évidence pour que les mots se suivent et s'entraînent ? 
Ce soir je m'interroge sur cet état là. Celui qui tient mes yeux hibourrifés et mon sang en haleine, qui me tend vers la page. 

Pourquoi faut-il donc que je me mette dans cet état ? 

lundi 27 avril 2020

Incendie du jour : C'est pas loin d'ici

- Ces femmes,
Ils ont fait fuir
ont tué
ont assassiné
la femme qui chante
la femme qui célèbre
la femme qui existe
Ils ont rigolé de la grande blessure.
Connaissez-vous leur chef, le bourreau ?

-Oui, pourquoi ?

Incendie du jour : Matin

L'une sait
l'autre pas
combien ça peut être fort
les muscles des voyageurs.

Chanter, la première fois,
hésitante.

Après, les mots portaient le corps.

Aiguiser sa voix,
sa gorge,
planter la lame des mots dans le crâne.

Incendie du jour : Et si on reste encore une heure

Soeur nourrie à la honte
Ils ont brûlé les mots
détruit le chant clair
et les chemins des oiseaux
vont nous voir.

Il reste le jour.
On trouvera les maisons de ceux qui lisent
les augures
dans la lumière vive
et les livres
qui ont trouvé l'encre du levant.

Je te le jure.

Chante, soeur.

Incendie du jour : Est-ce que tu pleures ?

Géométrie du silence.

Le combat où tu m'entraînes recommence.
Je glisse dans la vie
tête la première :
j'ai appris à tomber.

Compter ne sert plus rien.
Je vais lire,
écrire
au coeur du polygone
gouffre de silence.

Incendie du jour - Vous n'avez pas vu une jeune fille ?

Le temps a flambé
comme l'enveloppe destinée à l'enfant fou
comme le mazout
et la ville électrique
la peau mathématique.

L'hiver est passé par la fenêtre,
puis sur le bord du puits
a raconté ses dernières volontés

Il se noie.

dimanche 9 février 2020

09.02.2020 Incendie du jour : Et si tu meurs, à quoi ça servira ?

18.

Les fleurs sauvages reviennent
dans sa main.

Elles faisaient un nuage
pour se protéger des représailles.

Les herbes arrêtent
la pluie
poussent au loin
vers nos chemins réfugiés
comme une promesse.

samedi 8 février 2020

08.02.2020 Incendie du jour : Si je pouvais reculer le temps, il serait dans mes bras

17.

Mémoire.
De fil en aiguille
on a brûlé un puits
détruit un ventre
pris un fleuve
sorti quelques jours du monde.

07.02.2020 Incendie du jour : Par où commencer ?

16.

Commencer par
de petits détails :

un regard tranchant
une guerre silencieuse
un pays de théâtre.

Comprendre cette journée-là.

06.02.2020 Incendie du jour : Allons voir

15.

Les lettres
croisent le silence. 

Vingt-neuf munitions 
sur une route. 

Orphelinat de mots. 

05.02.2020 Incendie du jour : Pourquoi tu ne dis rien ?

14. 

On te croit morte
C'est bien. 

Je peux partir,
devenir folle, 
respirer,
vivre maintenant. 

Je ne sais rien. 
Je veux comprendre le silence. 
Mon silence. 

mercredi 5 février 2020

04.02.2020 Incendie du jour : Alors j'oublierai

13.

Les yeux ravagés de la nuit
ne me disent rien.

La gorge transparente,
je dévore les mots chauffés à blanc,
j'oublie le livre opaque
qui habitait ton visage
et la terre blessée par ton nom.


mardi 4 février 2020

03.02.2020 Incendie du jour : J'ai pris le livre que j'avais dans la poche


12.

Je sais écrire
J'ai pris ton nom,
j'ai gravé ma promesse
j'ai ri
si fort que la tombe s'est pliée.

Le nom tourne,
sa route éclaire ma naissance.


02.02.2020 Incendie du jour : La voix résonne encore à mes oreilles


11. 

« Monsieur Ducharme,
   je suis venue.
- Que cherchez-vous ?
- Toujours le même silence.
- Je suis content que vous soyez venue.
  Je voulais vous faire danser dans ce silence 
   mais j'hésitais. 
   Aujourd'hui, c'est bien .

01.02.2020 Incendie du jour : Pourquoi vous faites tout ça ?


10. 

Devant le vide,
avoir posé un seau de pierre
de terre.

Seau d'autres.

Je ne sais pas si ça a du sens pour vous.
Pour moi, oui.

31.01.2020 Incendie du jour : Le visage tourné vers le ciel


9.

La colère s'arrache de mon ventre.
Je la grave dans la terre,
l'arme sur le fil,
la recueille dans un seau de nuit.


30.01.2020 Incendie du jour : Comme si j'avais mille ans


8. 

Le pas de l'hiver arrive.
La nuit se lève dans l'eau courante des ruisseaux.
Son ventre se tait.

29.01.2020 Incendie du jour : Je te le dis, je te le jure

7.

Patience.
Un mois ou cinquante ans
La beauté explosera dans la gorge.

Lutter. Vivre.

Et le goût de cette nuit dans les arbres
va se planter dans le jour

28.01.2020 Incendie du jour : Alors tu choisiras

6.

"Oublie ton corps,
quitte ton ventre
sèche les étoiles que tu portes
renferme le ciel souillé dans ta main"
dit-il.

Toi,
tu choisiras l'instant,
la forêt,
la vie nue.

Ne t'agenouille pas.

lundi 27 janvier 2020

27.01.2020 Incendie du jour : Mais moi toujours j'aurai un enfant au fond de ma tête

5.

A l'oreille
te dire
une brûlure, un océan,
un gouffre
les injures des oiseaux
la nuit
et l'aube sauvage dans le brouillard

Te le dire avec
tête
bras
coeur
visage
ventre
bouche

C'est un vertige
les mots qui vont sortir de la forêt.

Et je lasse le silence, éclaté,
sur le rocher,
pour que les arbres l'entendent.

26.01.2020 Incendie du jour : Entre 1 et l'infini

4.

Mère
Père
Frère

Un tracé enveloppe le polygone où j'ai ma place.

Un autre point existe
au loin.
Le point qu'elle occupe
dans le polygone
ne se voit pas.

Il faut me résoudre à la vie,
agir.

samedi 25 janvier 2020

25.01.2020 Incendie du jour : Et frappe !

3.

"Vous vous acharnez
dans votre combat insoluble,
inutile."
"C'est pas comme ça que tu vas gagner"
répéteront les gens
qui ont pour but d'arriver
à une réponse stricte.

La question qui vous occupe est épuisante ;
cela, précisément,
l’impossibilité de résoudre le problème,
la solitude.
Une manière de taire l'instant.

24.01.2020 Incendie du jour : Contre la terre

2.

Fille
je ne vais pas pleurer.

Contre la pierre
l'eau crisse.
Elle a gravé ses volontés,
une affabulation capable de répondre au jour.

Je ne vais pas oublier
l'ai vivant,
le visage écorce et sa promesse.

Il est l'heure d'accorder les couteaux.

jeudi 23 janvier 2020

23.01.20 Incendie du jour : Enfin, c'est un passage !

1.

Entrez
avant que ça éclate.

Étrange mauvais temps.
On voit un oiseau dans le passage,
les autres sont partis.

La mer n'a pas de parole
Et un oiseau, ça tombe bien.

Entrez, entrez, entrez.

Qu'il pleuve
(ça viendra)
et je vous raconte.

Émerger, revenir à la rive : Incendie du jour.

"L'enfer est pavé de bonnes circonstances", dit Hermile Lebel dans la scène d'ouverture d'Incendies de Wajdi Mouawad. 

Et il y en a des circonstances, accumulée sur les heures, qui me tiennent éloignée des carnets et claviers. D'indicibles beautés. Des jours tranquilles. Des joies. Des vacheries. 
Je cherchais donc depuis longtemps comment revenir sur cette rive là, comment ne pas disperser mes nerfs autour du pot, comment ne pas égarer la fibre dans l'herbe du jardin ou les poils du lapin. Je me demandais surtout comment faire pour plonger la main, à tâton, dans l'immensité de l'encre ou du clavier, puis retourner à notre vie en commun. Comment faire la navette, comment ne pas m'embrouillarder, d'un monde à l'autre, comment ouvrir en grand chaque espace sans faire claquer l'autre. 

Tout a pas mal tourné, parfois en sous-marin. Mais cela semble émerger, enfin. Comme souvent, tout tourne longtemps à l'intérieur et puis une succession de pichenettes (un spectacle un morceau de musique, un film, une expression...) me poussent au bord de l'eau, et redonnent l'envie de plonger voir ce qu'il y a, au fond. 

Je vous épargne la liste de toutes les dernières pichenettes, mais je veux en évoquer une, importante : les écrits d'Amélie : les fondus quotidiens pendant un an, le défi "90 jours de contenus", son courrier hebdomadaire... On a déjà parlé, plusieurs fois, de ces rendez-vous que l'on fixe, de la place qu'on accorde à l'écriture, mais rien depuis les brèves quotidiennes du début ne parvenait à me rendre un rythme. Mais Amélie sait faire éclore les écritures (elle s'en est fait un très beau métier) et ses idées donnent une forme, possible, au retour de l'exercice. (plusieurs liens dans ce paragraphe pour aller voir ce qu'elle fait). 

Et puis, en reprenant Incendies de Mouawad pour le boulot, c'est venu. Un projet qui me tienne, un temps à battre chaque jour, pour l'écriture. 

Un poème fondu par jour, issu d'une scène d'Incendies

Un poème fondu, quoi donc que c'est ? 
"Le poème fondu consiste à tirer, d’un poème donné, un autre poème plus court, par exemple d’un sonnet, un haïku. On ne doit pas employer dans le haïku d’autres mots que ceux qui sont dans le sonnet, et on ne doit pas les employer plus souvent qu’ils ne le sont dans le sonnet." 
C'est une contrainte de Michelle Grandgaud de l'OULIPO

Alors c'est parti pour "L'incendie du jour"

mercredi 22 janvier 2020

#186 - Une bribe de retour

Un soir, ça revient. Entre un émerveillement et une colère, une bouffée d'air, semblable à celle qu'on prend après les années. Un coup de vent assez fort pour se réveiller, se pousser à reprendre la peau de louve. A faire du vide.
Il va falloir réapprendre à vivre. A vivre complètement, sans suspendre son souffle ou ses pas. Sans se soucier. Tout court.
Pas sûre que j'ai jamais su faire. Mais j'apprenais, et il faut retrouver le fil.
Je crois que ça commence dans le carnet jaune, une nuit de tempête.