mercredi 28 février 2018

#144 - Une bribe de Chansons à L.

Route du soir. Nouvel opus d'L. dans le lecteur. Le rouge aux lèvres, la hâte. Lueur des lampadaires et nuit d'aniline.

Route du matin. Nouvel opus d'L. dans l'habitacle. Le teint pâle, la joie. Lumière horizontale d'hiver.

"... Et tant pis, tant pis si j'orage, / Tu sais, j'espère."

#143 - Une bribe au tableau

Le soleil du matin brille de toutes ses forces sur le tableau blanc, et y ouvre une large fenêtre. Ça fait plisser les yeux. J’aimerais y écrire des vers de Miron, des tirades de Racine ou de Mouawad, des mots d'Albane Gellé.
Mais je retourne sans regret aux cases du tableau de commentaire composé. Juste de savoir qu'on aurait pu.

lundi 26 février 2018

#142 - Une bribe de Gypse

"Et j'ai repéré une maison d'édition qui publie de jeunes auteurs."
dit-il, l'air de rien. 
"Pour tes écrits."
 dit Gypse comme si c'était évident. 

Gypse, comme ça, au milieu des jours de travail, laisse tomber des cailloux inattendus. On troque alors des jeux d'écriture, des textes, des livres d'Ananda Devi. Il a des mots fantaisistes et justes. En quelques syllabes, colmater les confiances ébréchées. 

Décidément, le gypse est une roche tendre.

jeudi 22 février 2018

#140 - Une bribe d'ombres

Dans la salle d'attente des soins externes, la fenêtre réchauffe le dos et la tête. Aucun livre pour s'accrocher à quelque chose, des doigts, des yeux.
Sourire à la voisine qui se renseigne et dont les craintes se devinent, lui répondre calmement,demande un véritable effort mais cela silencie les points d'interrogation aiguisés qui traînent dans le ventre.  
Puis plus rien. Il ne reste qu'à s'accrocher à ce qui traîne par terre : la lumière. Les mains jouent aux vagues, au animaux, aux arabesques et aux formes indéfinies. Les ombres s'étirent et se replient au rythme des inquiétudes. Elles permettent de ne pas oublier qu'il y a dehors un grand soleil d'hiver. 

mardi 20 février 2018

#139 - Une bribe des astres

Les phares du camion sont trop vifs, au milieu de la nuit bien noire. Ils font comme des soleils immobiles. Mal aux yeux mais un pétillement quand même.

#138 - Une bribe du berger

Sur les panneaux électriques, pendant quelques kilomètres, il n'y a, à chaque fois, qu'une étoile. Ça donne cette étrange sensation de suivre la bonne direction. Et dans la nuit, je file vers la Flandre, joyeusement.

Au retour, le jour est aussi étoilé. 
Tout est bien, alors. 

jeudi 15 février 2018

Carte d'Etandres 1 : Occupation des lieux

En ce moment, je visite des contrées étranges. Un continent, un archipel : Les Etandres. Et j'ai très envie de vous adresser quelques cartes.  N'ayant pas les adresses de tout le monde, je les envoie ici, poste restante. Voici quelques semaines déjà que le périple a commencé. Tant de choses sont bousculées, dépaysées, que tout récit chronologique et exhaustif paraît impossible. J'enverrai donc plutôt quelques instantanés. 


Chers,

J'espère que tout va bien chez vous.
Ici , j'écoute toujours beaucoup de musique. Et chose curieuse, les morceaux qui résonnent avec les paysages sont aussi variés qu'une chanson d'amour très lyrique, qu'un tube trash remixé, ou qu'un morceau d'électro-swing.
Est-ce que ce sont les infinies nuances de couleur qui offrent une prise si large aux esthétiques contraires ? Ou est-ce moi qui suis tellement occupée par le voyage que tout semble s'y rapporter ?

Légendes #20 - Déferlante


On raconte qu'il y a sous sa poitrine, entre le plexus solaire et la base du cou, une grande pierre creuse, une poche de calcaire emplie de liqueur. Celle-ci varie selon les heures du jour et les saisons, les densités de silence et la qualité de la conversation.

Hydrolat de sauge, vin lacrymal, décoction de délassement, macérât des doutes, huile de culpabilité pressée à froid, infusion de menthe, extrait de joie pure, essence de colère, bile mal déglutie, eau de vie, sirop de quiétude, extrait de découragement, miel ambré de niaiserie, vitriol bleu, rhum ardent, filtre d'obstination, alcool d'orages, sève de charme, potion lymphatique, philtre d'élancées, élixir de grisaille, tisane d'extravagance, tonic de dérangement. Chartreuse. 
Cela tient, au milieu de son corps karstique. En général. 

En général, parce qu'on raconte qu'à certaines saisons, le calcaire cède et que la liqueur déferle, sous le regard hébété ou ennuyé des passants éclaboussés. 

On ne sait pas qui se forme en premier du calcaire ou de la liqueur. Toujours est-il que tout est à refaire.

mardi 6 février 2018

Légendes #19 - Apparitions


On raconte qu'elle est parfois le témoin d’apparitions. Ce sont des divinités anciennes et sans nom. Elles surviennent dans des endroits incongrus, quelquefois rongés d'une foule aveugle à ce qui se joue sur une dalle, une vitrine, un panneau de stationnement interdit. Les divinités ne s'éternisent pas et repartent aussi silencieusement qu'elles sont venues, la laissant estomaquée, souffle court, paupière battante. La seule personne à qui elle a tenté de l'expliquer lui a répondu en haussant les épaules qu'il ne s'agissait que de reflets, d'éclats de lumière fulgurants, c'est tout. 

Il paraît qu'elle a rétorqué : "Oui, exactement. C'est tout. Pourquoi le dire comme si ce n'était rien ?"