dimanche 13 novembre 2016

#120 - Une bribe des hoquets de silence

Mercredi matin, enclencher la quatrième vitesse : à peine dans les temps, mais vaseuse. Dans l'odeur du café, au travail, je réalise que je n'ai même pas pu attraper la radio. Je demande à L. où ça en est. "Il est en passe de gagner". Et quand son visage grave ne cille pas devant mon "naaaaaan" incrédule, un hoquet de silence me monte à la gorge. 
*
La classe planche et je surveille. Exceptionnellement je laisse mon téléphone sur le bureau pour jeter un coup d'oeil à l'écran. "Le monde" en direct. Le conditionnel cède la place à l'indicatif. "Urgent" indique l'écran. Urgent. Je regarde la classe face à moi. Je me rappelle, avoir cet âge, et W à la tv.  Ils travaillent, sous mon nez. Je ne vois plus grand chose. Comment accommoder son regard ? Comment admettre qu'ils vont vieillir dans ces eaux là ? Dans le calme studieux, je me demande si on entend le son du petit effondrement. La fixité de la stupeur. A travers la gorge serrée, toujours le silence en hoquet. 
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K. arrive en classe, en disant qu'elle est en colère, et dégoûtée. Moi aussi. Le silence, remonte. La nausée. 
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Plus tard, sortir du tunnel de cours, du tumulte des classes. On se dit : Enseigner, oui, bien sûr. Enseigner, évidemment. Comme d'autres choisissent de soigner, de défendre, de chercher, d'informer, de créer.
Mais. 
Mais si le printemps nous faisait une mauvaise blague, et si le vent tournait pègre ? et si le vin en vinaigre ? Un petit "quand" force la porte. "Quand le printemps nous fera, nous défera..." qu'est-ce que ça deviendra ? Est-ce qu'il faudra accepter de se rendre au dernier degré de trahison du langage ? Est-ce qu'on sait reconnaître l'instant où l'absurde devient dangereux ? A quel moment se met-on au service d'un état plus que de ses citoyens ? A quel moment se retire-t-on ? Et pour quoi faire ? 
Quoi faire ? 
Remontées acides de silence. 
*
Exceptionnellement, on se retrouve pour manger. C'est le prétexte. On parle de ça, et puis du reste. De nos petites vi(ll)es. De temps en temps un soupir. Et toujours cette enflure de hoquet qui silencie parfois nos voix.  
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Tout continue, comme toujours. Les élèves. Les collègues. Les copains. Reste le hoquet. En attendant qu'il me rende ma voix, mon cours, ma fluidité, je prête des livres. Ma main, au moins, ne tremble pas. 

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