vendredi 18 novembre 2016

Légendes : 12 - Les yeux hérissés


On raconte que ses yeux ne voient plus qu'en terne et mat, que c'est pour ça qu'elle passe ses jours à faire des bulles de savons : continuer à voir les reflets, surprendre encore des moments irisés. 

mardi 15 novembre 2016

Légendes : 11 - Sous le masque, enfin


On raconte qu'après avoir embrassé les brèches et les coupures, elle se met en quête des coutures. Histoire de voir comment c'est fait, comment ça fait, pour tenir. 




Légendes : 10 - Sous le masque, décidément


On raconte qu'elle pose l'index sur les plaies des monuments perdant leur arrogance, qu'elle leur murmure un signe de reconnaissance et un sourire astringent. 




Légendes : 9 - Sous le masque toujours


On raconte qu'elle surprend les lieux, comme ça, en train de se dénuder et qu'elle aime cette infime intimité. 





Légendes : 8 - Sous le masque encore


On raconte qu'elle guette la peau qui s'écorche sur les genoux des murs.
On raconte qu'heureusement, "il n'est pas sûr que tous ces murs soient sans oreilles" 
(Guillevic le raconte en tout cas)




Légendes : 7 - Sous le masque



On raconte qu'elle aime surprendre les villes en train de se démasquer.



dimanche 13 novembre 2016

#120 - Une bribe des hoquets de silence

Mercredi matin, enclencher la quatrième vitesse : à peine dans les temps, mais vaseuse. Dans l'odeur du café, au travail, je réalise que je n'ai même pas pu attraper la radio. Je demande à L. où ça en est. "Il est en passe de gagner". Et quand son visage grave ne cille pas devant mon "naaaaaan" incrédule, un hoquet de silence me monte à la gorge. 
*
La classe planche et je surveille. Exceptionnellement je laisse mon téléphone sur le bureau pour jeter un coup d'oeil à l'écran. "Le monde" en direct. Le conditionnel cède la place à l'indicatif. "Urgent" indique l'écran. Urgent. Je regarde la classe face à moi. Je me rappelle, avoir cet âge, et W à la tv.  Ils travaillent, sous mon nez. Je ne vois plus grand chose. Comment accommoder son regard ? Comment admettre qu'ils vont vieillir dans ces eaux là ? Dans le calme studieux, je me demande si on entend le son du petit effondrement. La fixité de la stupeur. A travers la gorge serrée, toujours le silence en hoquet. 
*
K. arrive en classe, en disant qu'elle est en colère, et dégoûtée. Moi aussi. Le silence, remonte. La nausée. 
*
Plus tard, sortir du tunnel de cours, du tumulte des classes. On se dit : Enseigner, oui, bien sûr. Enseigner, évidemment. Comme d'autres choisissent de soigner, de défendre, de chercher, d'informer, de créer.
Mais. 
Mais si le printemps nous faisait une mauvaise blague, et si le vent tournait pègre ? et si le vin en vinaigre ? Un petit "quand" force la porte. "Quand le printemps nous fera, nous défera..." qu'est-ce que ça deviendra ? Est-ce qu'il faudra accepter de se rendre au dernier degré de trahison du langage ? Est-ce qu'on sait reconnaître l'instant où l'absurde devient dangereux ? A quel moment se met-on au service d'un état plus que de ses citoyens ? A quel moment se retire-t-on ? Et pour quoi faire ? 
Quoi faire ? 
Remontées acides de silence. 
*
Exceptionnellement, on se retrouve pour manger. C'est le prétexte. On parle de ça, et puis du reste. De nos petites vi(ll)es. De temps en temps un soupir. Et toujours cette enflure de hoquet qui silencie parfois nos voix.  
*
Tout continue, comme toujours. Les élèves. Les collègues. Les copains. Reste le hoquet. En attendant qu'il me rende ma voix, mon cours, ma fluidité, je prête des livres. Ma main, au moins, ne tremble pas. 

dimanche 6 novembre 2016

Légendes : 6 - Flaques


On raconte qu'elle pleure parfois tellement que des flaques se forment sur son passage mais qu'elle ne retiendrait pour rien au monde ces eaux qui redonnent à voir un peu de ciel dans le goudron, la pierre, et la boue. 




jeudi 3 novembre 2016

Légendes : 5 - Floc, floc


On raconte que son armure noire contient un étang profond, bien vert. Son cou tiendrait d'un ensemble de troncs d'arbustes  tressés. Et quand elle hoche la tête, il paraît qu'on entend comme un bruit de vent dans les feuilles. 


#118 - Une bribe d'aveuglement

Il y avait le bruit de la peau qui claque, autour. Les sons sourds de l'intérieur. Badoum. Badoum. Le corps tiré de l'ombre par le nom, le nom d'ici que j'ai donné, comme une couverture de survie. La lumière est trop forte et les gens sont derrière, invisibles. Badoum badoum. Rester polie, dire bonsoir, se présenter. "Bonsoir. On m'appelle parfois Félixe Blizar". Et puis, il faut faut y aller. Lancer le souffle comme une corde à ne pas lâcher, même si le carnet orange me gêne, même si des vagues de mots me ramènent parfois trop près du micro. La lumière est trop forte, pas le temps de s'y habituer, les gens sont toujours derrière, invisible, et c'est difficile de sentir ce qu'ils renvoient. Il faut continuer, tenir la corde, pour que tout soit tendu, de bout en bout, jusqu'à ce que le souffle soit coupé. 

Badoum. 

Retourner avec les gens, derrière la lumière. Ne pas savoir. Le pote improbable d'un soir, une tape sur l'épaule. "Alors, t'as vu, hein, tu y es allé. T'as posé. Et demain en te réveillant, pfioouuuuuu, tu vas te dire ce que j'ai fait, c'est un truc de fouuuuuu." 

Ne pas savoir. Mais avoir osé, à voix haute et presque claire. 

"Bonsoir. On m'appelle parfois Félixe Blizar."