jeudi 9 juin 2016

#96 - Une bribe de Mille Bornes

Mille Bornes

Un jeu que j'aimais bien gamine.

Un jeu auquel j'ai continué à jouer adulte, derrière un volant. Faire des bornes. Un, deux, trois, seize, vingt-quatre, cinquante-trois, soixante-quinze, trois cent quarante-huit, six cent trente-cinq. 
                                             
                                                       Mille. 

Ca confère à la gloutonnerie, cette manière d'avaler les routes. 
De prendre la voiture, parfois, plutôt que le train (tout en se tapant sur les doigts et en disant "pas bien !") (et alors même que j'aime le train).
De se lécher les doigts pleins de forêts, de vallons, de buissons, de champs, de villes labyrinthiques, de villages désertés, de gris dégueulasses et de gris merveilleux, de tôle à zone industrielle et de bois odorants de corbeaux veilleurs de jours, à la lisière des mondes, de plaines ennuyeuses, de prés couturés, de chemins escarpés, d'épingles à cheveux entre les  boucles de verdure, de rocs, de bitume, de gens inconnus, de feux qui changent de couleur, et qui se démultiplient par terre quand il pleut, de ponts sous lesquels on n'aura pas à dormir, de lampadaires à la lumière plus ou moins jaune, plus ou moins blanche, d'étoiles, de nuits sans lune, de pluies incessantes, de bourrasques brutales, de phares qui brulent les yeux et de noir sans fin. 
Etre satisfaite, mais jamais repue pour longtemps.  

Et là, bam. bada-brrr. Crissement des nerfs, traînée d'huile de moteur. 
On m'envoie là bas. Loin. Dans un nouveau bahut pour un temps de rien. Là-bas au bout de cette route que j'aime. Dans une ville que j'aime sans y aller souvent. Une de ces villes ni tout près, ni trop loin, où on peut se permettre d'aller avec T&A un dimanche, pour la balade. Où on peut se diriger, sur la fin de journée, tester l’acoustique du théâtre avec Cha. Où j'ai pu aller me cacher dans l'inconnu quand l'anonymat des rues me manquait aux débuts de la vie par ici. 

Il faut se lever tôt, il faut attendre des heures entre les cours. Il faut revenir, ensuite. 
La route est toujours belle. Mais elle est bordée de la nécessité d'arriver à temps. Obscurcie par les pensées relatives à la vie scolaire. Ses rues seront peuplées d'anciens élèves. J'ai perdu contre les talus l'anonymat qui me permettait de ne pas me demander à chaque silhouette d'ado s'il s'agissait d'une tête connue. Perdu l'insouciance aventureuse de cette route qui me faisait départ, du phare de ces lieux qu'on garde pour l'exception, cachés au milieu des branchages. 

Les Mille Bornes ne sont plus un jeu. Et j'attends avec impatience que le temps passe sur cette fin d'année, comme un nain jaune barbu, comme un Loup Garou et qu'il me réapprenne à jouer. 

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