mercredi 3 février 2016

#8 - Une bribe de robe

Elle se plante pour la cinquième fois devant le miroir, les yeux incrédules. Changer de focale. La silhouette opulente, le regard ligné d'une aile noire, les lèvres briques, le yeux cerclés de jai, les cheveux garés en bataille et en épis à la fois, la cheville déliée au dessus des talons. 
Et puis la robe. 

C'est elle qui conduit Lorna devant le miroir, en boucle. 
Celle-là, de robe, elle ne cache rien. Elle insiste, au contraire. La taille est marquée, bien obligée : les hanches et le ventre ont tout poussé. La poitrine est discrète : les hanches et le ventre ont tout pris. Elle s'en est tirée avec les restes. 
Gynoïde.
La robe est  ample, mais elle ne renie aucune rondeur, aucun creux, aucune ombre. Lorna apprend à regarder en face les creux et le plein, à ne pas vouloir gommer. Elle rayure horizontalement. Ostensiblement.
Piriforme, crie la robe.
Bleue, piriforme, et raturée. 

Dans cette robe là, se dit Lorna.
Dans cette robe là, même si j'ai un peu honte de l'avouer
         se dit Lorna
Je veux bien être moi. 

 Dans cette robe là, c'est bien, c'est moi, en juste. Juste moi, en bien. 
          se dit Lorna. 

Il y a quand même l'instant où ça fissure. Elle sait l'écart irréductible entre un œil et un autre. Elle sait que d'une même forme, d'une même couleur, nous projetons des impressions si différentes.C'est pour ça qu'elle revient au miroir, cinq fois. Elle essaye de voir avec d'autres regards, de l'extérieur. Peine perdue.
Elle finit par hausser les épaules. Elle arrête de s'extirper de ses pupilles, de se contorsionner, de se scinder pour se regarder depuis dehors. Elle oublie le miroir. 
Elle oublie même la robe. Et elle s'en va. 


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