dimanche 28 février 2016

#34 - Une bribe de confetti

Sur le goudron et le jour, gris comme c'est pas permis, des confettis traînent. Ils sont éparpillés et désœuvrés. Le soir venu, il y en a dix fois plus. 

C'était frappant, ces confettis collés au sol, parce que ça ressemblait beaucoup à ce qu'il se passait à l'intérieur. 

Dimanche, retour de voyage, soir de fin de vacances.
La barque est bien chargée. A l'intérieur, les organes renâclent, se collent aux parois. Envie de rien, besoin de quoi ?

Après la grande vie, et tout le vent de la côte dans les cheveux, après la poésie, après l'élémentaire, il faut revenir au lycée (étymologiquement, le lycée comme le louvre est en rapport avec le repaire des loups -instant étymo du jour). Aux copies à corriger. 
Le vent tombe d'un coup, et ça fait comme une petite asphyxie, après les journées à laisser les poumons grandir dans la lande. 

Les confettis, eux aussi, ils appartiennent au vent. Par terre, ils ne sont plus que la trace flétrie d'une fête qui a eu lieu et qui s'est en allée. 

Mais il existe des baumes cachés dans le café du matin avec M. et E., les crêpes pomme-caramel au beurre salé, le thé avec les copains d'ici, les gâteaux végans de P., les récits ou les rêves de voyage de tous, les coups de fils et les nouvelles. 

On peut admettre, alors, que les confettis soient flappis, par terre, et en profiter pour admirer leurs couleurs, au couchant, en train de ruisseler dans les sillons du goudron. 

Il faut toujours croire Michèle Bernard. 
La fête est finie. La fête (re) viendra.





#33 - Une bribe d'avant retour au port

Les clés sont rendues, assez tôt pour passer boire le port des yeux et un chocolat du bout des lèvres.
Ca aurait été parfait, les deux en même temps, le chocolat devant le port, mais ce n'était pas possible. Pas très grave, cela dit, puisqu'on se dit au revoir. 
Plus que les côtes sauvages - celles que je préfère pourtant - ce sont les ports qui me dépaysent. Ils me départent avec leur mélange déroutant de verticalité et d'horizontalité, de calme et de tempête potentielle,de simplicité et de luxe.
Il y a tous ces objets dont je ne connais ni le nom ni l'usage.
L'inconnu, sans les codes pour s'accorder tout à fait. Pour s'encorder au bastingage.

Est-ce si naïf de continuer à croire que connaître le nom, le maîtriser, est un pouvoir ?

(Et l'usage du pseudonyme, donc)

samedi 27 février 2016

#32 - Une bribe de menhir

Alignés,
Là, comme si ça allait de soi, d'être de pierre et dressé dans la lande.

Certains sont très bas.
 Mais dans l'alignement, ils tiennent. Ils se portent avec toute la fierté du monde.
Certains, fendillés aussi. Ou habités par les mousses.
(Est-ce que quelqu'un s'occupe de les décaper ? de les lessiver ?)

D'autres sont tombés (au combat, oui, mais lequel ?).
Ceux qui restent  font toujours corps, à perte de vue.

Ca donne le vertige, d'imaginer les bras aux muscles tendus d'il y a des millénaires.
Et la dignité et l'arrogance, presque, avec lesquelles les menhirs résistent au vent. Le secret semble résider dans l'alignement.

Ne pas pouvoir s'empêcher de faire le lien avec les gens, et leurs alignements.
Essayer de se tenir un peu plus droit, et ferme, même quand on se sent tout petit. 

(Relire Carnac de Guillevic, bien sûr)

jeudi 25 février 2016

#31- Une bribe d'Un brin d'herbe, Après tout


Toujours des problèmes techniques. Changement de tactique. 
Un extrait de ce très beau livre d'entretiens entre Guillevic et J-Y Erhel publié à la La Part Commune. 

#30 - Une bribe d'hommage



Carnac, rêvé depuis longtemps.
C'était sous la pluie et c'était bien.

lundi 22 février 2016

#28 - Une bribe de départ

En accélérant sur l'autoroute, "Always alright" d'Alabama Shakes retentit. Un sourire gargantuesque se faufile derrière quelques gouttes de joie pure.
La route, enfin.

Il y avait eu la même marmelade d'yeux, un matin à Paris, en passant le portique. Au départ, au départ... rien à voir, si ce n'est la conscience, jusqu'à la moelle, de l'espace ouvert. Ca respire, des mains écartent les côtes en grand, et il est possible que ce soient les miennes.

Breeze-block


Est-ce que c'est rien, ça ? 




#27 - Une bribe de tournesol

Nos visages se tournent tous seuls vers les soleils. 
Celui qui vient et reflue, comme une marée entre les nuages. Celui de la tarte au citron coupée en lunes à moitié. Celui qui s'écrase sur le bec des cygnes et qui fait briller les plumes des canards. Celui qui fait plisser les yeux. Celui qui nous chauffe les joues dans la cuisine. Celui qui fait éclore les pétales de robes. Celui qui fait pétiller les pois sur ses vêtements comme du pop corn. 
Une beauté de framboise et une beauté en accroche-coeurs, sous ces flots de lumière, au milieu de la ville. 
Les mots suivent la houle. Des vagues d'échanges, denses et légers.
Danser, léger.

Il y aurait des dizaines de réflexions à retranscrire, et autant de moments à raconter. Je garde nos échappades et nos abrazos de tournesols en fleurs.

dimanche 21 février 2016

#26 - Une bribe de progrès

Au début, il palpite un peu, le regard. Il ne sait pas où se poser, sur quoi. Les coins des lèvres s'écartent de manière un peu forcée, on entendrait presque grincer les rouages. La bise à chaque invité, chaque visage inconnu et tellement d'appréhension que les prénoms glissent à peine à la surface de l'oreille. Toujours le sourire remonté à la clé, et sans doute un regard un peu désespéré.
Cela fait longtemps qu'il n'y avait pas eu une soirée avec autant d'inconnus. Ces soirées de l'angoisse où les hôtes virevoltent comme ils peuvent, des verres au buffet, avec un mot pour chacun et la musique à baisser, et où chaque incursion dans une discussion semblait maladroite. Prière de ne pas déranger. 
L'angoisse telle qu'il avait fallu prendre la décision d'arrêter d'y aller. Comme on arrête de boire après un ulcère. Comme on finit par rester au lit pour se soigner. 

Ce soir, il y a eu une petite hésitation, avant de fermer la porte derrière soi. Et puis il faisait froid. Mais un doigt a poussé sur le dos, mine de rien, en disant qu'on pouvait aller. Que ça allait aller.

Au début, le regard était un peu hésitant tandis que le nom est lancé à la cantonade. 
Quatre heures plus tard, nous parlons de voyages, des lieux qui nous ont ébouriffés. des livres qui réconcilient avec la lecture avec S., H. et C. Et puis, G. explique qu'il est originaire de ce lieu là. Il en parle avec tendresse, hésitation et force à la fois. La découverte ou l'ignorance. Ca a du sens.

En repartant, c'est "au revoir" qui se lance à la cantonade. Les lèvres s'écartent dans un dernier rire, tout ce qu'il y a de plus sincère. 

Couper les fils du corset, encore. Se dire qu'ils seront parfait pour tricoter des poèmes au point de croix, en respirant le large.

vendredi 19 février 2016

#25 - Une bribe de dans quinze ans.

Se donner rendez-vous pour un café avec l'une et pour un deuxième café avec l'autre. 
Une ancienne et une future collègue. 
Elles n'ont pas grand chose en commun, si ce n'est d'être prof de lettres dans cette ville et d'avoir à vue de nez une petite quinzaine d'années de plus que moi. 
Avec chacune, très différemment, on parle longtemps. Le travail, les œuvres qui claquent, les insomnies, les amours, la communication, l'éducation, les séparations, les rencontres, les lieux, les voyages, les enfants.
Elles ont des vies très différentes, pourtant chacune semble se trouver à un tournant.
Elles sont très différentes, mais chacune a le regard plus vif en parlant de poésie. 

Se dire qu'il est impossible d'imaginer ce que ça pourra bien être, cette vie dans quinze ans, si tant est qu'on y soit. Que je ne sais même pas quoi souhaiter. 

Mais que, quand même, je voudrais encore avoir, moi aussi, l'oeil plus vif en parlant de poésie.


#24 - Une bribe de courrier en retard





Des papiers épars
Piller les chutes de programmes et de magazines
Choisir au milieu des boites
Recoudre les îlots, images et des mots
Comme pour écrire. 

Tout est affaire de correspondance.

jeudi 18 février 2016

#23 - Une bribe de rangement

Trier, classer, placer.
Faire du rangement.
Avoir des placards, des armoires, des étagères.
Avoir des rangements.

Je regarde faire mon père, en étant vaguement inutile.
Je crois que je suis tiraillée entre l'envie de savoir faire, de m'y retrouver entre tous ces outils, ces techniques, celle de pouvoir, celle d'aider et puis le côté très enfantin de la situation.

Poser des crémaillères.
Je l'ai pendue il y a longtemps, la
Mais il en restait des, à accrocher

Il y a ce contentement presque domestique.
Celui de voir se créer des espaces, des lignes, des lieux où étaler dans l'ordre tout ce qui s'éparpille partout.
Ce contentement de bordélique repentie, de reine du désordre déchue.


Derrière ce contentement, toujours un léger questionnement. Peut-on perdre une once de ce chaos et enfanter tout de même d'une "étoile qui danse" ?


mercredi 17 février 2016

#22 - Une bribe des bribes (celles de Tipi)

On est là, côte à côte devant les ordinateurs posés sur la table du salon.
Il fait défiler les pages.

C'est dingue à admettre, mais quand j'ai commencé, sur un coup de tête, ces bribes quotidiennes, je n'ai pas pensé un instant qu'il y en avait sur son site une section entière.


Il y écrit par exemple :

"Une nuit si claire
Qu'elle en devint blanche."
On sourit, on s'émeut, dans un relatif silence. Il y a aussi sa présence à elle, à côté. 
Reconnaître, naître encore, connecter, découvrir et apprendre toujours ma terre natale. 

mardi 16 février 2016

#21 - Une bribe de pas envie

Et puis il y a des jours, où on a juste envie de se taire et de lire.

On aimerait que les sensations, que les histoires, que la poésie soient racontées par d'autres.

En fait, c'est plus compliqué. Il y a toujours l'envie d'être lectrice.
L'écriture répond souvent à cette envie là. A force de lire, de regarder, de gober toutes les miettes de monde autour de soi, il faut rendre un peu de ce qu'on a pu y piocher.
L'envie n'est pas nouvelle. Il y a simplement des jours, quand certains silences ont épuisé les réserves, où elle enfle,  jusqu'à prendre toute la place.






(Vous auriez, vous, une bribe de mot, un bout de jour, de vos nouvelles à partager ?)


lundi 15 février 2016

#20 - Une bribe de dimanche soir


Au téléphone, A. chante "Maintenant ou jamais" en s'accompagnant au clavier. C'est un de ces moments parfaits. On pourrait faire trois millions d'autres choses. On pourrait être bien, autrement. Mais le téléphone, dimanche soir, avec A. qui chante "Arrête de dormir, on peut en mourir", c'est d'une justesse qui transperce tout.

Avec A., cette envie de vivre en poésie, au delà de l'écrit.

dimanche 14 février 2016

#19 Une bribe de parenthèses

Mettre des parenthèses autour des mots, trop.
C'est comme pour dire qu'au fond ça ne compte pas tant, ces mots écrits vers vous. C'est comme utiliser une police plus petite. 

Les mots entre parenthèses semblent prendre un peu moins de place. Ils sont à part. Ils s'excusent presque de déranger. 

Les parenthèses, elles font comme un corset. 
Elles nous dupent, avec leur air bombé, leur air concave, convexe, leur arrondi. Mais il s'agit bien de limiter, d'encadrer. De ne pas laisser la pause déborder. Une petite précision, même pas une note de bas de page. 

On dirait des paupières fermées. 

Parfois, pourtant, je les repousse des deux mains, en faisant des phrases de dix lignes. Ou en les enchaînant, ces parenthèses, jusqu'à ce que leur présence n'ait plus de sens. Mais elles sont là, quand même, inévitables sur le clavier. 

Mettre des parenthèses, comme on éviterait les couleurs franches. Comme s'il ne fallait pas que ça tranche.
Finalement, ces parenthèses sont en accord avec le noir qu'on porte pour faire oublier qu'on a un corps. 

S'astreindre à se délier.
Forcer les parenthèses à s'envoler. 


Écrire entre tirets. Nouveaux corsets. 
Tout recommencer.


vendredi 12 février 2016

#18 - Une bribe de ce noeud à la gorge

Des fois, les fibres de la gorge se tressent.
Et au lieu de s'tresser, bien gentiment, en ordre, comme dans les nattes des petites filles sages, ça se met à s’emmêler, s'amalgamer, se malmener.
Ca fait des nœuds.

Des fois la peur. Quand ça brûle un peu trop fort. Quand ça tire et quand ça gène. Quand on imagine la fin, déjà.

Des fois les au-revoir, quand on va se prendre le bilan. Dans. Les. Dents.
Ou dans l'estomac. Quand l'émotion vient. Quand elle n'arrive pas et qu'on est tout sec, comme ça. 

Des fois la rage, qui dévore au milieu de la nuit, dans l'épuisement et l'impuissance. Quand rien ne sort, ni ne cesse et que tout stagne là. 

Des fois les marques inattendues de considération.

Des fois, le trac avant de prendre la parole et de lire les mots qu'on a collé les uns à côté des autres. Celui de commencer à chanter, la voix nue, en mue.

Des fois, l'intime sensation que les mots appréciateurs sont sincères.

Et les noeuds rougissent, se tissent. Ils glissent, seuls, tandis qu'on se laisse serrer et défaire.

Sensations nouées

                                             Des noeuds et des nuées.

jeudi 11 février 2016

#17 - Une bribe de la dernière minute du cours

Un grand silence soudain.
Pourtant, c'est la dernière minute du cours, après un devoir, peu avant les vacances. Cette minute habituellement en effusions, en confusions.

"Rien n'est officiel, mais il presque sûr qu'à la rentrée, quelqu'un d'autre assurera vos cours."

Leur air un peu hébété, inquiet est à la fois un baume et une petite déchirure.
Les mots échappés de cette élève, avec qui j'ai eu tellement de mal deux ans plus tôt, viennent secrètement se déposer dans le repli du tympan.
Les rassurer encore, en dépit de tout ce qui monte à la gorge de peur et d'émotion. 

Une dernière minute qui ressemble à une communion.

"Le travail sur les Contes est quand même à faire, hein !"

Dédramatiser, les entendre râler. Eviter de tomber dans le pathos. Les rendre à leurs flemmes et à leurs préoccupations quotidiennes.
Noter quand même qu'ils mettent tous un soin particulier à dire "Au revoir et bonnes vacances, Madame."

Eviter le pathos.

"A vous aussi."



mercredi 10 février 2016

#16 - Une bribe de gros

"Ouais mais gros, si tu fais ça..." dit-elle à sa voisine.

Sourire en les entendant se répéter "gros".
"Hé, mais gros, gros..."
Quelque soit le locuteur, l'interlocuteur. Tous "gros". Vocatif. Epicène.

Tous "gros", cherchant à ne surtout pas l'être.

mardi 9 février 2016

#15 - Une bribe de Retour de flamme


"Parle bas
La bouche pleine de soleil et de laine
Il est temps
La terre s’ouvre les veines
Les hommes attellent leurs bras
Pour vivre
On attend les graines de ta voix
On attend chacun sa part
Chacun sa peine
Et les yeux sont coulés sous des filets de haine."
Voilà ce qu'écrivait René-Guy Cadou vers vingt ans. 

Mâcher des mots qui ne sont pas les siens. Les connaître sur le bout de la langue, quitte à se mélanger des fois. Avoir quelque chose d'autre que soi dans le ventre.

lundi 8 février 2016

#14 - Une bribe d'échappade

"Madame, échappade, ça s'écrit avec un ou deux "p" ?"
  
Résister au besoin d'ouverture. Que ça s'escarte, que ça s'escabeaude. Que ça escapade, enfin, au delà des étaux serrés.

Répondre de manière professionnelle.
                

                               Rêver tout au fond d'une grande échappade.

dimanche 7 février 2016

#13 - Une bribe de Mademoiselle Chambon

A un moment, l'espace rétrécit. Une bouche rencontre une main.
Et toujours le mystère de ces basculements là.
De ce qui fait qu'à un moment, on ose plonger dans le gouffre pour rejoindre l'autre.

samedi 6 février 2016

#12 - Une autre bribe de réverbère

 En sortant du square, on arrive juste au dessus de la rue G.. La séance de cinéma va commencer dans une dizaine de minutes.
De là, on voit les réverbères qui s'égrènent en pente douce. Les yeux s'écarquillent déjà : le réverbère, celui d'hier, est éteint.

Je me dis qu'il s'allumera peut-être à mon passage.

Incrédule
Un clin de l’œil ou un orgueil.
Fille allumeuse ou fille de l'air, pour une fois.


Qui me croira si je raconte qu'il s'est éclairé à côté de mes pas ?

#11 - Une bribe de réverbère

La ville de nuit, peinte en Monochrome par Tiersen. 
La rue, pente en ombres chinoises.

Le réverbère du haut s'éteint brusquement à mon approche.  

Toujours ce temps qu'il faut pour découvrir les évidences. Dans l'obscurité, pas d'ombre. Impossible de se décider quant au devenir d'une telle information. Je me promets d'être attentive la prochaine fois qu'il n'y aura pas d'ombre sur le trottoir. Est-elle présente mais invisible ? Est-elle rentrée à l'intérieur ? Est-ce que les choses deviennent leur ombre ? 

Le réverbère s'éteint.
Un salut ou un refus ? 
Fille électrique ou fille éteignoir ? 

Dans mon dos, le réverbère se rallume. L'ombre réapparaît sur le trottoir.

Peut-être est-ce simplement un sourire de l'allumeur de réverbères, une réponse tardive à l'adolescente de seize ans qui écrivait :

"L'allumeur de réverbère a mis les voiles... et toujours pas d'étoiles."


jeudi 4 février 2016

#10 - Une bribe de heumheum

 [TW Violence familiale]
Pialat, A nos amours, Sandrine Bonnaire et sa fossette, qui se perd-trouve-cherche dans les bras de garçons, sur la peau des lits et des herbages. Sandrine Bonnaire, et son regard, sous les coups du frère, de la mère, et les mots qui se plantent dans les dents. Sandrine Bonnaire qui lit Musset. Des malaises et des interrogations dans la figure.

A une minute du générique de fin, une élève spasmophile. 

Plus tard, dans la rue, un élève.
Madame, c'est pas possible ce film, j'vais m'faire tuer par ma mère. - Pourquoi donc ? - Ben, jchais pas, y'a trop de heumheum. - D'évocations de la sexualité, c'est ça ? - Ouais, voilà.

Partir sur le droit des parents à frapper leurs enfants et sur les filles volages.


Vivement mercredi, donc, qu'on reparle de heumheum. 
(Et du droit de frapper, et des filles volages)


mercredi 3 février 2016

#9 - Une bribe de printemps

Quand l'hiver traîne et qu'on rêve de cavernes de couettes, quand les cavernes sont de copies, quand on abandonne à regret les livres et les litres de thé, et quand on se fait picorer les yeux par l'écran de l'ordinateur, penser au printemps. 

L'imaginer poétique, ce printemps. 
Commencer à assembler des branches et des plumes, de quoi faire un nid pour couver les projets. Attendre les éclosions, ça rend les jours moins longs. 

Ça demande un peu de force dans les pas, quand même, pour ne pas se paumer dans les conditions de rémunération des auteurs, pour avancer avec d'autres sur des terres inconnues, pour faire des allers-retours vers les gens, dans leur bureau, sans jamais savoir où on met les pieds. Ça demande de la voix, pour se chercher un chant de sirène, persuader le monde qu'on aura raison de (se) dépenser dans les poèmes, intriguer des ados, intéresser les collègues.

En ramageant de ci, de là, pour que tout ça s'élève, réaliser le temps que ça prend, une saison à venir. 
Ne pas envier les hirondelles qui se contentent d'y voleter. 

Il est tellement plaisant de faire le printemps. 


#8 - Une bribe de robe

Elle se plante pour la cinquième fois devant le miroir, les yeux incrédules. Changer de focale. La silhouette opulente, le regard ligné d'une aile noire, les lèvres briques, le yeux cerclés de jai, les cheveux garés en bataille et en épis à la fois, la cheville déliée au dessus des talons. 
Et puis la robe. 

C'est elle qui conduit Lorna devant le miroir, en boucle. 
Celle-là, de robe, elle ne cache rien. Elle insiste, au contraire. La taille est marquée, bien obligée : les hanches et le ventre ont tout poussé. La poitrine est discrète : les hanches et le ventre ont tout pris. Elle s'en est tirée avec les restes. 
Gynoïde.
La robe est  ample, mais elle ne renie aucune rondeur, aucun creux, aucune ombre. Lorna apprend à regarder en face les creux et le plein, à ne pas vouloir gommer. Elle rayure horizontalement. Ostensiblement.
Piriforme, crie la robe.
Bleue, piriforme, et raturée. 

Dans cette robe là, se dit Lorna.
Dans cette robe là, même si j'ai un peu honte de l'avouer
         se dit Lorna
Je veux bien être moi. 

 Dans cette robe là, c'est bien, c'est moi, en juste. Juste moi, en bien. 
          se dit Lorna. 

Il y a quand même l'instant où ça fissure. Elle sait l'écart irréductible entre un œil et un autre. Elle sait que d'une même forme, d'une même couleur, nous projetons des impressions si différentes.C'est pour ça qu'elle revient au miroir, cinq fois. Elle essaye de voir avec d'autres regards, de l'extérieur. Peine perdue.
Elle finit par hausser les épaules. Elle arrête de s'extirper de ses pupilles, de se contorsionner, de se scinder pour se regarder depuis dehors. Elle oublie le miroir. 
Elle oublie même la robe. Et elle s'en va. 


lundi 1 février 2016

# 7 - Une bribe de pire.

Ce jour-là, dans la salle de réunion, on envisage le pire.

C'est étrange cette manière de dire "le pire". Ce superlatif, laissé tout seul, sans nom. Un sommet, singulier et unique.

On le sait bien, pourtant, que ce n'est un "pire" parmi d'autres "pires".

Peut-être que les pires sont tellement terribles qu'on ne peut en envisager qu'un à la fois.
Peut-être qu'on oublie, comme les poissons rouges, que tous les autres pires ne font jamais que dormir, cachés derrière le grand méchant pire du moment.

On divague pour repousser les images. Pour ne pas penser à ce que ce serait, des coups de feu dans les couloirs. Ne pas penser à ces films vus plus jeunes et à ces images récentes dans les journaux.  Pour ne pas se dire qu'un jour, cette responsabilité, celle de quinze, vingt, trente-cinq élèves pourrait devenir celle de la vie de trente-cinq personnes.

On a passé les derniers mois à se dire que le risque zéro n'existe pas, qu'il faut faire, encore, faire avec la peur ou la menace, et  qu'il ne faut surtout rien délaisser de nos libertés pour un petit surplus d'illusoire sécurité. Mais on a beau être philosophe, stoïcien ou épicurien, on a beau chantonner "Que sera sera", quand on envisage une seconde que ça puisse arriver, dans ces murs là, quelque chose tremble.

On s'attelle aux nécessaires plans de mise en sûreté. Le sort est ironique, on se rappelle que les jours sont tout, sauf sûrs et qu'il arrive parfois qu'ils basculent. Dans ce pire là comme dans un autre.


On fait des blagues très noires, comme on déglutirait.
On discute comme on peut, de la vie en pire.

On distingue un instant, avec horreur, combien il est grand et pourtant inexistant, notre empire.