dimanche 31 janvier 2016

#6 Une bribe d'hôpital

Il y a des mots qu'on retourne. Qu'on prononce des dizaines de fois, au téléphone, dans la voiture et dans la salle d'attente.
Ces mots sont notre seule digue contre tous les autres qui tournent sans relâche.
Alors on les empile, on y revient, on ne les lâche pas.
Et puis, on remplit les interstices avec de petites histoires de la vie, des bêtises, de mauvais cafés et quelques perspectives, histoire de se rappeler que tout ça n'est qu'une suspension. Quand on repart, en respirant mieux, la fatigue retombe, et les mots tournent encore un peu, au passé.
A défaut de savoir se blottir, on se parle. 


samedi 30 janvier 2016

#5 - Une bribe de gratitude

Est-ce que l'on peut crier de gratitude, comme on crie de joie, de colère, de plaisir ou de frustration ?
Si non, pourquoi ? Pourquoi certains sentiments se prêtent au cri, et d'autres pas ?
Si oui, à qui ?

Le gratitude enfle, prend tellement de place que ça tire. Comment la dire ?
Est-ce que ça peut finir par exploser ?
Si oui, à quoi ressemblera la pluie ?

#4 - Une bribe de danse

On peint les jours en jaune tournesol, pour mieux s'y asseoir plus tard.
On danse comme si.
On danse, et, au milieu de la nuit, dans le silence qui fait bourdonner les oreilles tamponnées de musique, on rentre en souriant.
Les poèmes font le trottoir. 

jeudi 28 janvier 2016

#3 - Une bribe de festin

Arrêter la voiture, pas le moteur.
Démarrer en première, sans remord.
S'échapper.

Ce fût un festin aux chandelles. Les immenses lampadaires doubles veillent sur la rocade.  Les enseignes criardes hurlent dans leur solitude nocturne. Elles sont vulgaires mais touchantes, au milieu de leur désert, à jouer des coudes contre quelques lampes blafardes. Plus loin, les phares zèbrent les hangars défraîchis qui n'existent plus que par bandelettes. Petit à petit, la terre et les arbres gagnent du terrain sur les bouges électriques. Le regard s'habitue à virer sur les rails qui bordent la route, et à percer la densité des champs trempés. Soudain, une petite meute de réverbères dorés vient bousculer la rétine. Elle révèle la pluie en paillettes que l'on a mal séchée sur le pare-brise. Le bitume éclate par instants, comme un pop corn.
La nuit, chaude et liquide, reprend son territoire et nappe à nouveau la vie. Sous sa cape, se laisser respirer, rire des décorations de Noël qui paradent encore, ça et là, dans le village d'avant. Ce village a  un nom qui roule dans la gorge, comme un verre de vin blanc. Je cherche une lumière, un aperçu dans la maison d'antan mais les volets blancs sont tirés et la voiture glisse le long du fleuve sombre et tortueux de ses rues minuscules. En partant, je devine ces chemins entre les vignes où je rêvais de l'embrasser. Il y a tellement longtemps que ça paraît bien peu réel. Je me raconte l'année là-bas, la pluie dans la voiture, les crocus, sans arriver à être sûre que ça a existé, qu'il y avait bien une vie derrière les volets.
A la sortie, flotter le long des champs, en se rappelant leurs verts incroyables au printemps, les blés pas encore mûrs qui font comme des vagues. Ce soir, il offrent des nuances de noir, folles. Au loin, une brume sombre qui tire sur le violet. C'est ma ville, à présent. J'y retourne sans regret. Un dernier détour par la ligne droite, trois secondes d'american way, et cette descente qui slalome entre des lampadaires presqu'orangés. Sortir du monde, trente secondes, replonger dans la ville, le long des lampadaires, toujours plantés comme des bougies.

Repue. Tout à fait rassasiée.

#2 - Une bribe de cime

Quand l'espace de la salle est trop petit, quand les murs commencent à faire l'effet d'une cage thoracique écrasée, chercher dehors de l'air et de l'horizon.
Ce jour-là, il y a du brouillard. Pas de plaines lointaines, pas de ligne où fuir en galopant de l'iris. Mais en levant la tête, depuis le bureau, on ne voit que ça, le brouillard. La ouatine. Et la cime noire des arbres qui la transperce. On s'imagine bien haut, à flotter. 
Et si rien n'est ouvert, les murs s'écartent, dans un soupir. Les côtes reprennent leurs aises. 

En se levant, l'illusion crève, on retombe brutalement, les deux yeux sur le sol. On se remet à travailler.

mardi 26 janvier 2016

#1 - Une bribe d'iceberg

Quand au matin, les yeux gourds et les doigts mal réveillés, elle entre dans l'habitacle, tout est froid. Des morceaux de glace se détachent peu à peu, en haut du pare-brise. Ils glissent, en fondant lentement. Elle les regarde passer, devant le bleu encore incertain du jour. Pendant un instant, elle est en pleine mer arctique. Elle dérive dans l'immensité bleu polaire.