vendredi 2 décembre 2016

Légendes 14 - Chutes d'eaux usées


On raconte que parfois, ça déborde et que les eaux s'en vont, en un long serpentin.




Légendes : 13 - Eaux usées




 On raconte que parfois, il se sent comme un petit godet de verre, un puits miniature dont les eaux s’obscurcissent. Qu'il a l'impression d'encaisser les coups de pinceaux intrusifs, et de sentir s'agglutiner les galets de peinture sur ses parois. 





vendredi 18 novembre 2016

Légendes : 12 - Les yeux hérissés


On raconte que ses yeux ne voient plus qu'en terne et mat, que c'est pour ça qu'elle passe ses jours à faire des bulles de savons : continuer à voir les reflets, surprendre encore des moments irisés. 

mardi 15 novembre 2016

Légendes : 11 - Sous le masque, enfin


On raconte qu'après avoir embrassé les brèches et les coupures, elle se met en quête des coutures. Histoire de voir comment c'est fait, comment ça fait, pour tenir. 




Légendes : 10 - Sous le masque, décidément


On raconte qu'elle pose l'index sur les plaies des monuments perdant leur arrogance, qu'elle leur murmure un signe de reconnaissance et un sourire astringent. 




Légendes : 9 - Sous le masque toujours


On raconte qu'elle surprend les lieux, comme ça, en train de se dénuder et qu'elle aime cette infime intimité. 





Légendes : 8 - Sous le masque encore


On raconte qu'elle guette la peau qui s'écorche sur les genoux des murs.
On raconte qu'heureusement, "il n'est pas sûr que tous ces murs soient sans oreilles" 
(Guillevic le raconte en tout cas)




Légendes : 7 - Sous le masque



On raconte qu'elle aime surprendre les villes en train de se démasquer.



dimanche 13 novembre 2016

#120 - Une bribe des hoquets de silence

Mercredi matin, enclencher la quatrième vitesse : à peine dans les temps, mais vaseuse. Dans l'odeur du café, au travail, je réalise que je n'ai même pas pu attraper la radio. Je demande à L. où ça en est. "Il est en passe de gagner". Et quand son visage grave ne cille pas devant mon "naaaaaan" incrédule, un hoquet de silence me monte à la gorge. 
*
La classe planche et je surveille. Exceptionnellement je laisse mon téléphone sur le bureau pour jeter un coup d'oeil à l'écran. "Le monde" en direct. Le conditionnel cède la place à l'indicatif. "Urgent" indique l'écran. Urgent. Je regarde la classe face à moi. Je me rappelle, avoir cet âge, et W à la tv.  Ils travaillent, sous mon nez. Je ne vois plus grand chose. Comment accommoder son regard ? Comment admettre qu'ils vont vieillir dans ces eaux là ? Dans le calme studieux, je me demande si on entend le son du petit effondrement. La fixité de la stupeur. A travers la gorge serrée, toujours le silence en hoquet. 
*
K. arrive en classe, en disant qu'elle est en colère, et dégoûtée. Moi aussi. Le silence, remonte. La nausée. 
*
Plus tard, sortir du tunnel de cours, du tumulte des classes. On se dit : Enseigner, oui, bien sûr. Enseigner, évidemment. Comme d'autres choisissent de soigner, de défendre, de chercher, d'informer, de créer.
Mais. 
Mais si le printemps nous faisait une mauvaise blague, et si le vent tournait pègre ? et si le vin en vinaigre ? Un petit "quand" force la porte. "Quand le printemps nous fera, nous défera..." qu'est-ce que ça deviendra ? Est-ce qu'il faudra accepter de se rendre au dernier degré de trahison du langage ? Est-ce qu'on sait reconnaître l'instant où l'absurde devient dangereux ? A quel moment se met-on au service d'un état plus que de ses citoyens ? A quel moment se retire-t-on ? Et pour quoi faire ? 
Quoi faire ? 
Remontées acides de silence. 
*
Exceptionnellement, on se retrouve pour manger. C'est le prétexte. On parle de ça, et puis du reste. De nos petites vi(ll)es. De temps en temps un soupir. Et toujours cette enflure de hoquet qui silencie parfois nos voix.  
*
Tout continue, comme toujours. Les élèves. Les collègues. Les copains. Reste le hoquet. En attendant qu'il me rende ma voix, mon cours, ma fluidité, je prête des livres. Ma main, au moins, ne tremble pas. 

dimanche 6 novembre 2016

Légendes : 6 - Flaques


On raconte qu'elle pleure parfois tellement que des flaques se forment sur son passage mais qu'elle ne retiendrait pour rien au monde ces eaux qui redonnent à voir un peu de ciel dans le goudron, la pierre, et la boue. 




jeudi 3 novembre 2016

Légendes : 5 - Floc, floc


On raconte que son armure noire contient un étang profond, bien vert. Son cou tiendrait d'un ensemble de troncs d'arbustes  tressés. Et quand elle hoche la tête, il paraît qu'on entend comme un bruit de vent dans les feuilles. 


#118 - Une bribe d'aveuglement

Il y avait le bruit de la peau qui claque, autour. Les sons sourds de l'intérieur. Badoum. Badoum. Le corps tiré de l'ombre par le nom, le nom d'ici que j'ai donné, comme une couverture de survie. La lumière est trop forte et les gens sont derrière, invisibles. Badoum badoum. Rester polie, dire bonsoir, se présenter. "Bonsoir. On m'appelle parfois Félixe Blizar". Et puis, il faut faut y aller. Lancer le souffle comme une corde à ne pas lâcher, même si le carnet orange me gêne, même si des vagues de mots me ramènent parfois trop près du micro. La lumière est trop forte, pas le temps de s'y habituer, les gens sont toujours derrière, invisible, et c'est difficile de sentir ce qu'ils renvoient. Il faut continuer, tenir la corde, pour que tout soit tendu, de bout en bout, jusqu'à ce que le souffle soit coupé. 

Badoum. 

Retourner avec les gens, derrière la lumière. Ne pas savoir. Le pote improbable d'un soir, une tape sur l'épaule. "Alors, t'as vu, hein, tu y es allé. T'as posé. Et demain en te réveillant, pfioouuuuuu, tu vas te dire ce que j'ai fait, c'est un truc de fouuuuuu." 

Ne pas savoir. Mais avoir osé, à voix haute et presque claire. 

"Bonsoir. On m'appelle parfois Félixe Blizar."

mardi 25 octobre 2016

Légendes : 4 - En vol


On raconte que certains jours, des ailes poussaient sur son ombre, et sur ses lèvres, un ectoplasme de légèreté. 





samedi 22 octobre 2016

Légendes : 3 - Femme pirate



On raconte que la balafre qui lui barre l'oeil et le front sert d'abri aux mots oubliés.

vendredi 21 octobre 2016

Légendes : 2 - Fards



On raconte qu'elle ne se maquille qu'avec la lueur des vitraux, en fin d'après-midi.





Légendes - 1 : Silhouettes


On raconte qu'elle découpe dans des draps emplâtrés les contours de ses vies passées et qu'elle les accroche au vent




dimanche 9 octobre 2016

#117 - Une bribe générique

Le film s'ouvre avec un morceau qui me ramène instantanément à la campagne Normande, aux trajets quotidiens vers un colloque de Cerisy-la-Salle.

Le film se ferme sur un morceau, écouté en boucle dans la chambre de l'adolescence.

Entre les deux, les choses qu'il faudra digérer pour démêler ce qu'on ressent et ce qu'on pense.

#116 bis - Une bribe d'étoile en général

... Et le lendemain, à défaut de signes sur les panneaux, nous filons à V. , "comme vers une étoile".

#116 - Une bribe de Vénus électrique

Je suis en retard. Le jour tombe. La nuit itou. Sur le panneau de l'autoroute, il n'y a qu'une étoile.
Pas de message de prévention, de pause imposée, de drogue au volant = accident. Qu'une étoile.
Demi-sourire.
Je suis en retard. Mais je vais dans la bonne direction.

lundi 3 octobre 2016

#115 - Une bribe (pas) trop tard

Il est beaucoup trop tard pour repartir. 

Il aurait fallu s'arracher aux mots et aux rires, quelques heures plus tôt. Il aurait fallu rester dormir sur le canapé. 
A ce moment là, les deux semblent impossibles. Un-juste. 
Il n'y a pas de choix, en réalité. Il faut repartir là, au milieu de la nuit. Il faut aller s'écheveler au bord des quais où passent ceux qui sortent et ceux qui rentrent. Glisser dans les artères, légère comme un globule, et battre complètement avec la ville qui oscille entre la vie et le sommeil. Elle, toute à son rêve, frissonne à peine du frôlement et du feulement des pneus qui démarrent vite au rouge (est-ce de n'en avoir bu qu'une goutte dans la soirée ?). 
Evi-danse. 
Cette étrange sensation d'être au coeur des choses sur le périphérique et de s'éclairer dans les tunnels. 
Il n'y avait pas d'autre choix, en réalité. Partir plus tôt, plus tard, rien ne pouvait me seoir. 
Rien que les lampées de la nuit, dans la ville aimée, entre les champs encore humides. Assez longtemps pour chanter, pour se taire, pour regarder les feux de travaux aveuglants baver leur orange tout autour et les veilleuses des villages endormis. 
En rentrant, il y a beaucoup de silence et de calme. 

A la bonne heure. 

vendredi 30 septembre 2016

#114 - Une bribe de fin de semaine

Il y a le week-end où s'enchaînent un concert à la guitare avec des mises en musique de poèmes d'Emily Dickinson, un set électro dans un appartement et un concert de baroque en abbatiale. Le même week-end, je décline l'invitation au bal dans un port industriel, parce qu'il n'y a pas assez de soir et toujours pas de don d'ubiquité.



#113 - Une bribe baroque


Ça va bientôt commencer. Mais ce n'est pas si grave, c'est numéroté.

Et F. a réservé des places tellement près qu'on entend le chef d'orchestre inspirer. On rajeunit la moyenne des cinq rangées autour. Au bas mot.

C'est beau vraiment. La musique, les voix. Tout ce qui a été arrangé pendant des années et qui se joue, juste là, comme si c'était évident.
C'est beau. Nous sommes venus pour cela mais ça attrape quand même, la beauté. Cela perle.
L'amusement, lui, pose ses mains derrière mon cou, et me surprend. Il y a le décorum, le ténor qui ressemble à un cartoon, la gestuelle du chef d'orchestre, et le livret dingue qu'on se montre en riant sous cape. L'automne, un chinois, l'hymen et les singes qu'on imagine en train de danser.

Quand la soprane se plante, on fronce un peu le visage, par empathie. La gêne perce derrière la dignité et la tenue. Et on sourit plus grand quand elle termine par des envolées qui font passer les oiseaux pour des pachydermes.

Je crois que c'est ce que j'aime dans le baroque, ce foisonnement, ces assortiments étranges qui côtoient l'harmonie, le côté guindé de la musique de Cour et la perfection des voix.

samedi 24 septembre 2016

#112 - Une bribe d'inspiration

Ce truc des gens qui s'éclairent soudain quand ils font ce qu'ils aiment, vous savez... Un peu cliché ? Vous auriez du voir son visage quand elle s'est mise à chanter et que ça perçait tout, des chaussures à lacets orange au regard ébouriffé. 

Ce truc des gens qui ont du talent et qui donnent envie de continuer à bricoler des mots, des notes, des lignes, des couleurs, vous savez... Un peu cliché ? Vous auriez dû sentir ce que ça faisait, ces voix et ces rythmes, ces poèmes d'Emily Dickinson mis en musique et ces textes sur le silence. Cette envie de nuits blanches à écrire et à raturer. Ce désir de chanter. 

dimanche 18 septembre 2016

#111 - Une bribe du glaçon

Quelques lignes rieuses, griffonnées il y a quelques mois, pour le plaisir du jeu, sans savoir qu'en faire. Les retrouver ce soir après avoir commencé une histoire de glaçon et de pôles, qui n'a pas grand chose à voir. Ou peut-être que si. Que c'est juste une histoire de glaçon qui a mûri. 

Pas besoin de me frigorifier, mon glaçon
Tout est déjà engourdi

Pas besoin de me congeler, mon glaçon,
Cela fait un moment que je suis refroidie

Pas besoin de me congédier, mon glaçon
J'ai déjà la main sur la poignée. 

jeudi 15 septembre 2016

#110 - Une bribe de feuilleté

En roulant dans la ville ce jour là, une étrange sensation -  était-ce dû la fatigue ou l'émotion?  - envahit l'habitacle. 

Dans la rue derrière moi, les innombrables visites à l'appartement de S.,  se superposaient soudain  des fêtes, aux soirs à parler, des jours de vote, aux fou-rires inextinguibles. Et même la grande chasse au trésor.

Et puis, ce fût toute la ville qui m'apparût, recouverte de couches colorées d'époques et de gens différents. Les quais, ceux des trajets quotidiens vers l'université, ceux des après-midi inombrables à discuter, ceux des soirées d'été. 
De l'autre côté du fleuve, nos déambulations de lycéennes avec Celar. Les retrouvailles avec Krisp lors d'une fête de la musique sous la pluie, et des années plus tard, dans le café librairie au soleil. L'appartement partagé avec C., à se taper trois fois aux portes, et à essayer d'apprivoiser le silence. Le même mais pas tout à fait avec Booh les petits plats, les épisodes de Friends et les discussions sur le canapé. 

A côté, l'appartement d'Aube, où manger en parlant de ce CAPES qu'il fallait préparer. Et le restau vietnamien, et le restau indien, avec la Coloquinte, après dix mille pas. Avec Bouh. Et les choses qu'on s'y est confiées à petits pas. 

Devant, sur l'avenue, il y a la place arborée, et la vie avec A. quand on se racontait les rêves de la nuit ou les aventures de la journée assises dans le couloir. 

Tout le reste. Et jusqu'à l'autoroute. Les moments, les gens, les sensations. 
Le battement quand j'empruntais une voiture pour aller prendre des cours d'accordéon, et le poids sur le dos quand il fallait enchaîner la marche, le métro le tram et le bus pour y arriver. L'impression de calme quand on arrivait dans le studio de Schway. Et les quelques cours donnés à côté, des années après. 
Tout le reste. Les lieux, les gens, les sentiments. 

Anonyme, glissant dans les rues, dans la secrète épaisseur des choses, je me suis délectée de la ville en feuilleté. 

#109 - Une bribe de tristesse enfantine.

La bouche se tord, parce qu'il n'y personne, à ce moment là. Pas de bras. Et que le chocolat ne suffit pas.
L'orage gronde.
Il ne va pas tarder à pleuvoir.

Elle le sait, que ça passera. Que demain, il fera plus clair. Et qu'il faut que les orages éclatent.

Mais la bouche se tord quand même. C'est une tristesse de petite fille perdue. Une peur d'enfant.
Elle le sait que ça passera.
N'est-ce pas ?

#108 - Une bribe à la croisée d'Ubu et de Kafka

C'est la procédure.
Et ça se suit les procédures.
Ca se respecte.
Les lignes de code sont des lignes rouges, on ne les franchit pas.
Rubicon.
Ca se respecte.
Jusqu'au ridicule, ça se respecte, la conduite.
Jusqu'à l'absurde, le logiciel.

Mais non madame.
Peu importe s'il y a une demande et une offre, tout à fait accordées
Et si la situation est simple sur le papier
Même pour l'esprit
Le logiciel a dit que ce n'était pas logique. Et il n'y a plus de raison que la logique logicielle.
Sa procédure, on la respecte.
On la suit.
Le logciel administre.
Désolé, Madame.
On ne peut pas saisir, dans le formulaire.
On ne peut pas saisir.
Voilà, qu'on ne peut plus penser en dehors de ces fichues formules.
De ces aires ben délimitées.
La situation est simple, pourtant. Enfantine.
Comme un cube à glisser dans un espace carré.

Mais le formulaire ne voit que des morceaux du carré. Pour lui, ça ne rentre pas.
Alors, vous ne rentrerez pas.
Désolé Madame.
On fait de notre mieux mais c'est le logiciel, la procédure, le code.
Ca se respecte.
Et les gens, alors, est-ce qu'on les ...  ?


samedi 3 septembre 2016

vendredi 26 août 2016

#106 - Une bribe d'hérédité

Combien de jeux de mots pouvez-vous faire à partir de "tapir" ? 

Combien de parties de cartes enchaînez-vous quand il fait bien trop chaud pour se promener ? 

Combien de kilomètres voulez-vous rouler avec ceux que vous aimez ? 

Combien de débats pouvez-vous lancer dans une journée ? 

Combien de chansons quand vous prenez la clé des champs ? Combien d'airs entonnés, même quand la mémoire fait des trous et des faux ? 




Chez nous, beaucoup. 


#105 - Une bribe de volupté

Dans cette soirée fabuleuse, A. dit soudain :

"Des voluptés, s'il vous plait. Sans filtre".


Nouvelle devise ? 

#104 - Une bribe de cette heure du jour

Il y a une heure, quand on roule dans la journée, où on met ses lunettes de soleil et où on allume les feux de croisement en même temps.

Ça me réjouit étrangement.

jeudi 18 août 2016

#103 - Une bribe de grand écart.

Rien ne concorde.
Les échelles s'emmêlent les barreaux, les couleurs du jour s'emmêlent les pinceaux. Et tout tient dans le cadre, peut-être parce qu'il est grand. Ou parce qu'il est souple.

Il y a le fracas des nouvelles qui s'ammonscellent, et le "monde qui s'effondre sur le monde" - pour reprendre la formule de Bobin - et les coups que ça donne, et les trouilles que ça fiche, comme des pointes dans la peau en ne sachant jamais tout à fait bien ce que ça transperce derrière.
Il y a en même temps la conscience du privilège que c'est, d'être médusé encore des attaques qui se succèdent quand il est des vies dont c'est le quotidien.
Il y a tout ce qui s'emmêle derrière, les lassitudes, les chocs, les colères, les insurrections, les grands silences - au fond, que dire - les abasourdissements et les gens que l'on rattache à des lieux.
Il y a le Pessimisme. On s'était déjà rencontrés, mais il me fait l'impression d'être plus grand, dans sa cape d'amertume, et les éteignoirs à bougies qu'il trimballe à sa hanche. Aucune lueur - ça marche bien - dans les postes de télévision, les lieux de pouvoir. La bêtise succède à la bêtise et on ne sait plus où donner de la tête, ni comment fermer les paupières.
On pense au peu qu'on connaît du Qohelet, que "buée de buées, tout est buée" (trad. Meschonic). Vanité.
Ce sentiment d'insignifiance individuelle finalement partagé. Qui être et que faire ? Face à. Devant.


Pourtant, il y a dans le même temps la légèreté, la joie, l'amour et la beauté qui se pincent en courant dans les jours simples. Il y a des rires, des tables, des livres, des discussions sur nos folies cachées et la vie de la peau, il y a l'air, le vin sur les lèvres et les chansons qui gonflent dans les poumons. Il y a des spectacles de théâtre qui viennent nous chercher. Il y a les souffles endormis, rue de l'Ambroisie. Il y a la chance, bon sang, la beauté et la gaieté au milieu de tout ce qui reste à combattre ou à régler. Il y a les routes ouvertes devant moi. "Privilégiée !" Je sais.

Alors, entre le quotidien et l'international, entre l'été et l'année, il faut faire le grand écart. J'hésite à écrire parfois, "vanité !" , et plus souvent à poster. Parce que je ne sais pas parler de ce monde qui vient cogner. Que je ne voudrais pas me forcer à dire des conneries juste pour montrer que c'est présent.

Ne m'en veuillez donc pas si je continue de faire le grand écart, de ne parler que d'un aspect infime des choses, de la vie, de la mienne. Je crois toujours qu'il y a les sujets - limités- sur lesquels je peux écrire et tous les autres sur lesquels il faut avant tout que je lise.

jeudi 28 juillet 2016

mercredi 27 juillet 2016

#101 - Une bribe de matins rayés

Photos floues de lumière à travers les volets.
Collections de matins rayés.
Qualité médiocre des images.
Peu importe, elles garderont encloses dans leurs brouillards le goût de ces heures de vacance à laisser le soleil prendre de l'avance. 


jeudi 30 juin 2016

#100 - Une bribe de Po la pleine

Longtemps, porter le corset pour se tenir bien.
Sentir peu à peu que la peau suffit pour se tenir bien.

Recoudre celle qui, dans la voiture, derrière toute la ferraille, a toutes les audaces, et celle qui, à découvert, dans la nudité des plaines, se recroqueville derrière des nerfs et des replis de chair.
Et toutes les autres.


Derrières les pores, siffloter dans l'appeau. Accourir.

mercredi 29 juin 2016

#99 - Une bribe dans la solitude des chants de supporters

Ca monte, cette chose là. Des cris et des chants prennent la rue et les tympans.
Ca monte dans la poitrine et dans la gorge.
Ca sautille d'une corde à l'autre, ça vocalise et ça amuse.
D'abord entraînant, on se laisse tirer par la manche.
Dans les pupilles, il y a le vert d'un autre temps.
Autour du verre, la main tenant
Curiosité, étranges coutumes, étranges vies, échanges de voix.

Et puis ça passe, ça se casse.
Et ça rappelle qu'on n'est pas de là non plus.
Toujours en dehors du cercle hurlant
Usurpation ! Hypocrisie !
La place encore en suspension
Les pieds en plein sur l'horion.

Autour, on lâche les corps, on délie les conventions.
Dedans, ça se rétracte, ça rapetisse
Le grand corset de fatigue tient ses lacets
Presse la poitrine  - Nimbostratus
Le canal bave sur les champs de coquelicots.
Pommettes, calicot.

Sortir les poumons de la mêlée,
Allez, allez,
Tu finiras par trouver
Allez,
Lève-toi,
Combat-le
Ce grand fracas, et l'ennui qui éteint tes épaules
Sans bruit, extirpe ton souffle et ta voix
Il reste des pavés pour faire briller ce qui se précipite sur les joues et les doigts
Jusqu'à la quiétude chérie qui t'attend à la porte.
Ne forcer personne, à commencer par soi
Allez, va
Vers cette solitude qui n'appartient qu'à toi.

Tu rafistoleras le souffle
Dans la solitude des bris de chansons.

vendredi 17 juin 2016

#98 - Une bribe des ciels

Trente-six cieux pas toujours bleus, pays pas imbécile où si souvent il pleut. A battre la campagne, abattue ou joyeuse, on voit les ciels se chasser, se poursuivre, se rendre, s'accoler ; On voit les orages illuminés, l'azur interminable, les nuages suspendus au sèche-linge, et les chagrins diluviens crachant sur la fenêtre. Et quand la nuit tombe sur l'étang constellé de moustiques, voilà un ciel moelleux, et confortable pour reposer ses yeux. 
Des cieux en bataille rangée, à pousser pour le règne. La journée de tournoi pour savoir quel ciel nous reviendra demain, tout fier d'être couronné de jour. 
Trente-six cieux et des poussières, sur les chemins. 

mercredi 15 juin 2016

#97 - Une bribe de fiction

"Lasse-moi sortir de là". 

Supplique dans les yeux du lecteur. De la lectrice. 
Lector, lectrix in fabula. Je n'a pas lu Eco, mais cela viendra. 
En attendant, je veux que l'on me berce, qu'on me porte sur son dos, et qu'on m'achemine ailleurs, un pas après l'autre. Je compte sur les livres. Les films et les séries, aussi. Fictions. Dans toutes leurs formes, leurs déformations. 

Il y a des périodes où la laideur succède à la laideur, où le point d'interrogation s'insinue derrière les pensées les plus simples, créant quelques gouffres et quelques chutes d'eau, où le monde ne cesse de s'abattre avec fracas contre les rochers. Pas le temps de reprendre son souffle. Et sans air, même la colère s'asphyxie. 

"Montre-moi autre chose."

Un espace. Un possible. Une beauté . Même la douleur et même les cris. Mais quelque chose qui réponde ou qui résonne. Alter-native. 


Miroir, mon cher miroir, je ne te promènerai pas le long des chemins, je ne serai pas la plus belle en ce pays.   Je te traverserai, cette fois, pour aller à la source des poésies que tu renvoies et des mondes que tu projettes sur les murs de la grotte. J'irai volontairement m'oublier dans les plis de tes songes, dans les revers du lit. Juste un instant. Juste un jour. Reprendre des forces. 

Et puis je reviendrai, soyez-en sûr, dans le monde. 
Avec toute ma colère, toute ma tendresse, ma peau rugueuse et mes bras nus. Je serai dans le monde plus que jamais, Avec la paume et les poings. 

Et on saura de quel papier nous nous chauffons. 

jeudi 9 juin 2016

#96 - Une bribe de Mille Bornes

Mille Bornes

Un jeu que j'aimais bien gamine.

Un jeu auquel j'ai continué à jouer adulte, derrière un volant. Faire des bornes. Un, deux, trois, seize, vingt-quatre, cinquante-trois, soixante-quinze, trois cent quarante-huit, six cent trente-cinq. 
                                             
                                                       Mille. 

Ca confère à la gloutonnerie, cette manière d'avaler les routes. 
De prendre la voiture, parfois, plutôt que le train (tout en se tapant sur les doigts et en disant "pas bien !") (et alors même que j'aime le train).
De se lécher les doigts pleins de forêts, de vallons, de buissons, de champs, de villes labyrinthiques, de villages désertés, de gris dégueulasses et de gris merveilleux, de tôle à zone industrielle et de bois odorants de corbeaux veilleurs de jours, à la lisière des mondes, de plaines ennuyeuses, de prés couturés, de chemins escarpés, d'épingles à cheveux entre les  boucles de verdure, de rocs, de bitume, de gens inconnus, de feux qui changent de couleur, et qui se démultiplient par terre quand il pleut, de ponts sous lesquels on n'aura pas à dormir, de lampadaires à la lumière plus ou moins jaune, plus ou moins blanche, d'étoiles, de nuits sans lune, de pluies incessantes, de bourrasques brutales, de phares qui brulent les yeux et de noir sans fin. 
Etre satisfaite, mais jamais repue pour longtemps.  

Et là, bam. bada-brrr. Crissement des nerfs, traînée d'huile de moteur. 
On m'envoie là bas. Loin. Dans un nouveau bahut pour un temps de rien. Là-bas au bout de cette route que j'aime. Dans une ville que j'aime sans y aller souvent. Une de ces villes ni tout près, ni trop loin, où on peut se permettre d'aller avec T&A un dimanche, pour la balade. Où on peut se diriger, sur la fin de journée, tester l’acoustique du théâtre avec Cha. Où j'ai pu aller me cacher dans l'inconnu quand l'anonymat des rues me manquait aux débuts de la vie par ici. 

Il faut se lever tôt, il faut attendre des heures entre les cours. Il faut revenir, ensuite. 
La route est toujours belle. Mais elle est bordée de la nécessité d'arriver à temps. Obscurcie par les pensées relatives à la vie scolaire. Ses rues seront peuplées d'anciens élèves. J'ai perdu contre les talus l'anonymat qui me permettait de ne pas me demander à chaque silhouette d'ado s'il s'agissait d'une tête connue. Perdu l'insouciance aventureuse de cette route qui me faisait départ, du phare de ces lieux qu'on garde pour l'exception, cachés au milieu des branchages. 

Les Mille Bornes ne sont plus un jeu. Et j'attends avec impatience que le temps passe sur cette fin d'année, comme un nain jaune barbu, comme un Loup Garou et qu'il me réapprenne à jouer. 

lundi 6 juin 2016

#95 - Une bribe de vert(s)

Vert      sous la lumière du printemps, sur la soie qui cascade des forêts de l'origine
             à Choux
             limonade - basilic à siroter en foulant de nos mots l'herbe de nos jardins
             Vérone
             forêt de marionnette à venir autour de ses mains
             de colère parfois
             jardin éphémère, collectif, partagé, libre

Vers     de Gaston Miron sans cesse au bord des lèvres

Verres  de vin autour de la table

Vair     douceur des journées sans pantoufles

            A se promener

Vers




lundi 30 mai 2016

#94 - Une bribe de soucis

"Et ça, c'est quoi ?
- Des soucis.
- T'en a pas assez comme ça ?
- Si, c'est pour ça que je les plante."

samedi 28 mai 2016

#93 - Une bribe d'un autre iceberg

Il y ce bloc, ferme, dense. Il flotte  à la surface, tranquillement. Pourtant, sa contenance semble s'amenuiser. Il transpire et se répand alentour en mousse blanche. Imperceptiblement.

D'un coup, craque, flouche, le métal en décroche un large pan, l'emmène vers l'abysse. Dedans, c'est blanc nacré, c'est immaculé et inespéré, jusqu'à ce qu'une vague vienne tout salir. 

*

A la terrasse, devant un mocha, je regarde la crème qui glisse à la surface. Je m'amuse de ce que la cuillère découvre, de ce que le café recouvre. Derrière l'air adulte et sérieux de la femme qui commande un mocha et qui lit une pièce de théâtre, il y a quelqu'un qui joue à l'iceberg avec la crème chantilly.

Il faut ça pour ne pas penser à l'absence totale de motivation, d'envie d'être ici. 
Pour ne pas penser à l'année prochaine. 
Pour ne pas avoir la trouille. 
Pour échapper au malaise que ces quelques heures dans la semaine instillent. 


Soudain, je me rappelle d'un autre iceberg. Et d'ici, où je ne suis pas venue depuis longtemps. Et des pages que j'aimerais noircir sans penser au travail. Le geste grince un peu, mais il reviendra.

*

Avaler les icebergs. Ça finira par fondre, de toutes façons. 

jeudi 5 mai 2016

#92 - Une bribe de marionette


Lumière rase dans la rue en pente. Douces. Devant, la silhouette s'étale sur le trottoir, le passage piéton, le caniveau. Toutes les nuances de goudron. 
Il faudra lui passer sur le corps pour traverser la chaussée. 
A chaque mouvement, la longue silhouette prend des airs de pantin mal mené. Dé-mené. Dé-s-articulé. Alors le bras se lève un peu. Le poignet révolutionne. Le coude s'étire, les doigts s'étendent. Il ne reste qu'à laisser le corps à l'espace, comme un pochoir vivant, projeté, déformé. Longiligne comme il ne l'est jamais.

Adulte emprunté à son air absorbé, un moment, qui joue aux marionnettes. 

mercredi 4 mai 2016

#91 - Une bribe d'écho

Allo allo. 


Il y a la fatigue de chaque côté, 
la joie de s'entendre, 
promesse de ne pas parler trop longtemps, sincèrement... 
                                          trahie tout aussi sincèrement
                                          allègrement 

                                          (littéralement allègrement)


Et tout résonne encore, si fort, une fois le combiné posé. 

#90 - Une bribe de ce qui meut (é)



Cet air revient, libérateur, à l'instar des jours qui délient les chairs.. Accepter. Assumer. Porter, dans la densité du présent. Ce qu'on fait, qui naît, de la fête aux pieds.
Simplicité.

Tout donner pour chanter cela, maintenant, à plein poumons, sans penser aux voisins, à l'heure, ni à demain.
Ecouter sa voix qui traverse tout et semble me ras-sembler-surer. Porter.
Mouvoir (é).

"If I die and my soul be lost... If I die and my soul be lost... Nobody's fault but mine".

dimanche 1 mai 2016

#89 - Une bribe de ce qui est étonnant à propos de Jane

Parmi les dizaines (bon, d'accord, ajoutons quelques zéros de plus, ahem) de lianes lancées par Twitter auxquelles je me suis accrochée ces derniers temps, il y avait cet article sur Jane Eyre (il est en anglais, pardon). 

Ca m'est resté dans la tête. Non seulement parce que l'article n'évacuait pas tout à fait l'épineux problème de la représentation de Bertha. Mais parce qu'il mettait le doigt sur la chose qui m'a toujours émue sans que je ne sache jamais le formuler explicitement. 

Traduction très approximative (mes excuses à tous les profs de version croisés dans mon cursus et aux amis traducteurs) d'une phrase de l'article : 


"Ce qui est étonnant à propos de Jane c'est que malgré sa croyance profonde et enracinée qu'elle est fondamentalement antipathique (dans le texte unlikeable : littéralement : in-aimable), elle tient tout aussi solidement à l'idée qu'elle mérite d'être respectée. 
Et si personne d'autre ne la respecte, alors, elle va elle-même se respecter". 



Exactement, précisément. 




#88 - Une bribe de karma peut-être

On appelle moi et puis on me demande si.
On appelle les, ils expliquent, négocient.
On appelle moi, les, et puis finalement non, on fera autrement. Soupir. soulagement.

On appelle moi et puis on laisse un message, on me demande si.
On rencontre les, le lendemain, ils expliquent, négocient.
On appelle moi, les, et puis finalement non, on fera autrement. Soupir. Soulagement.

Double.
Chant-ce.

mardi 26 avril 2016

#87 - Une bribe du soir où une fois encore je ne me suis pas couchée de bonne heure

Le réveil planifié pour 7h30. Puis 8h. Puis 8h30. Frou frou frou, les petites aiguilles. 
Il est 1h30, 2h, 3h, 4h du matin, il est déraisonnable moins le quart. Parce que demain il faut prendre la route, parce qu'envie d'être en forme pour les retrouver. Mais en remontant le cours de la soirée, je ne vois pas très bien où il aurait fallu couper. Le travail ? Non bien sûr. Les courses pour le repas du lendemain ? Pas plus. 

Et puis les heures à discuter dehors. 
Ecouter. Essayer de comprendre. 
Parler de ce que c'est que la violence. De l'éducation. De comment agir et dans quel but. 
Regarder les gestes de ceux qui sont d'accord, ou pas, qui ont une autre proposition, qui trouvent qu'on se répète, et ceux du m'sieur qui fait signe que le temps de parole est bientôt écoulé.
Ecouter l'homme qui parle de "Science Debout". 
Ecouter un autre homme qui retricote en vrac tous les coups durs, ceux qui ne m'ont jamais heurtée, et l'émotion de ce qu'il dit, de la confiance -confidence. 
Ecouter cette femme qui explique ses choix éducatifs. 
Voir avec effroi ce mec visiblement alcoolisé qui prend une jeune fille à partie, l'insulte copieusement (et tout y passe, revendication d'une plus grande légitimité par l'âge, sexisme, slutshaming, grossophobie,... ).
Ecouter cet autre homme tandis qu'il prend une guitare pour ne pas lui en coller une. 
Attendre d'être sûre que ça ira pour elle avant de finir par partir. 

Et en rentrant, il y a encore le plat pour le lendemain qu'il faut faire. Cuire. Le sac à remplir. Le brin de ménage. 

A déraisonnable moins le quart, rien n'est à regretter. 

lundi 25 avril 2016

#86 - Une bribe de peinturlure

Sur le goudron, des feuilles poussent, des pinceaux jouent aux herbes folles. Des marqueurs, des gobelets, des tubes, des bombes de peinture, des ciseaux, des crayons à papier, des brosses poussent et s'éparpillent. 
Certains flâneurs se connaissent, d'autres pas. 

En arrivant dans cette cour aux airs de jardin, tous sont là déjà, ou presque. Il faut réviser les prénoms. Se faire la bise comme si on se connaissait. Il faut... ne pas trop savoir par où commencer. Prêter un crayon ici, une gomme là. Reluquer les feuilles A2, ou la tapisserie ; ça paraît grand. 

Alors, on pioche A4, et on plonge seul, au crayon, comme pour ne pas déranger. Ca paraît un peu ridicule, alors on récupère un pinceau et on trace maladroitement le fond et la forme, la feuille et les lettres. On fait des oranges de couchers de soleil et des bleus à croire encore aux lendemains. On fait des verts dans lesquels se rouler, des rouges pas trop sanglants mais quand même francs du collier. Et du noir, oh du noir à s'envoler, noir sans fond des pupilles et des ongles incarnés.

A côté, il y a le carnet des mots qu'il faudrait faire rayonner, résonner, RAISONNER. Radoter peut-être. Ce sera l'obole modeste apportée au trésor collectif, des mots qui empoignent. 

Il faut toujours viser la tête. 

A côté des couleurs qui s'étendent comme un dallage brouillon sur le goudron, ça rit et ça discute. Un autre genre de dallage, tous ces gens qui ne se seraient jamais rencontrés. Brouillon mais pas sans cohérence. 

En repartant, une craie est serrée dans le poing. Il ne reste qu'à se rejeter à la ville et à lui en faire voir de toutes les couleurs. 

mercredi 20 avril 2016

#85 Une bribe de la difficulté qu'il y a à écrire les sensations

La vacance est étrangement pleine. Intensité qui coincide avec l'espace libéré. Le corps habité, dansant, les pas allant devant, en sautillant. Et l'épaule, et la nuque qui jouent aux déliés. Les hanches qui s'arabesquent. Sentir que rien n'est plus dilué, qu'au contraire, l'énergie s'enroule, pure, jusqu'aux creux des poignets. Désir d'écrire. 
Oui mais voilà, à force de micro-danser, de regarder et de marcher, rien ne sort plus au bout des doigts. Comme si l'émotion esthétique colorait si complètement la vie qu'il ne restait aucune place pour les mots. Ca frustre, parce qu'il faudrait pouvoir partager tout ce qui vrombit. "De la lumière à en déchirer la nuit" chante le Monsieur d'Eiffel dans le casque. Comment on dit ça, les sensations de la vie concentrée qui bat la campagne et qui renverse les vagues habiletés à parler ? 
Rien de spécial pourtant. Les jours sont ce qu'ils ont toujours été. Et pourtant, quelque chose irradie dans le quotidien incroyablement banal. Peut-être que c'est le retour de la clarté, le printemps tout simplement. Reste le désir, né de l'écart. Impossible d'écrire, et voilà que je tends les bras. Que je me contorsionne pour essayer de rejoindre une page un peu moins blanche. 

A défaut d'écrire, peindre, en écoutant du rock. Histoire que quelque chose à l'extérieur sache sur quelle longueur d'onde jouent les jours. 


mardi 19 avril 2016

#84 - Une bribe de glissade

En allant se promener le matin, la terre est humide. Arrivées au dessus du village d'antan, la vue, celle qui se cachait en novembre. Et la chaussure qui dérape de temps en temps sur la boue lisse. Sans trop avoir la trouille. 
Et ça ressemble aux jours, ces glissades auxquelles on accorde une confiance circonspecte mais amusée. 

#83 - Une bribe de visite

Un passereau et un geai, discutent entre les vignes.
Et les silences ne font pas peur.

#82 - Une bribe d' "Une Chienne" de Mouawad

"Ne t'occupe de rien, dévore, dévaste et que ce qui t'emporte t'emporte" dit Oenone.

Un peu plus loin, Phèdre répond : "Je ne suis pas folle de ce que je délire. Je suis folle de ce que je ne délire pas et que je ressens, là, comme une pierre."

Toujours Antigone. Toujours Baal.
Toujours. Ou encore ?

samedi 16 avril 2016

#81 - Une bribe de douches

Des coquelicots flous s'ouvrent sur l'émail de la baignoire, presque aussi beaux que les œuvres de Patricia Cartereau. . 

Des discussions fleurissent sous les plocploc de l'eau qui tombe des gouffres dans la bâche. Sous la nuit qui goutte allègrement, re-constituer le monde. 

La journée se gorge de pluie, se rouge-gorge et s'enfuit.


#80 - Une bribes de frontières débarbelées

Sur le marché donner des tracts.
Mais avant de rencontrer les autres, il faut se confronter à soi-même. Constater, un peu gêné, quels sont les barrières, les clichés, les préjugés. A qui on s'adresse plus facilement. A qui on n'ose pas parler. 

Il faut alors prendre les barrières à bras le corps, les déplacer. Quand elles ne bougent pas, les enjamber. 
Il faut débarbeler les frontières qui empêchent qu'on se cause, enfin. 

Rien n'est évident mais ça avance, un orteil à la fois. Une rencontre après l'autre. 

*
"T'es là, amiga ?!"
Rien que pour ce salut là. Et la poignée de main qui l'accompagne. 
Il faudrait faire le portrait de cet homme, en mots au moins. Mais il serait délicat de ne rien trahir. Il y a des gens qui échappent à toute fixation, fût-elle poétique. 


Sur la place, au milieu de la nuit, il parle robotisation, accélérationnisme. Je réponds territoires délaissés, savoir faire. 
"Il y a un bouquin là, sur les drones, dit-il. 
- Oui, celui de Chamayou ? 
- Voilà !
-  On me l'a offert.
- Oh ! T'as de la chance qu'on t'offre des bouquins comme ça"
Grave. 

#79 - Une autre bribe debout

Il y a toujours ce moment de l'arrivée, délicat. Mais il y a ceux qui repèrent le regard hésitant et perdu.
Petite ville cette fois. Pas question de se fondre. Il va falloir assumer.
Rencontrer. Parler. Attendre. Observer. Entendre. Réserver. Exprimer.

Penser à revenir le lendemain.

jeudi 14 avril 2016

#78 - Une bribe de retrouvailles

On ne s'est pas vues depuis longtemps. Et c'est bien de se rejoindre là. De découvrir ces trajectoires étrangères, mais pas si lointaines. 
Et puis le langage commun que l'on retrouve d'instinct. Déroutant quand on ne sait plus vraiment qui est l'autre aujourd'hui, et de quoi se fait sa vie, factuellement. 

"C'était bien ce café avec toi." 

#77 - Une bribe de claque

Heures d'indulgence totale. Tout s'autoriser. Laisser les envies mener le corps, les pas. Se laisser trimbaler dans la ville au gré des humeurs. Elle revêt alors ce visage radieux des lieux ouverts dans lesquels tout devient à la fois ferme et fluide. Même le manque de souffle en arrivant en haut des jardins du rosaire luit et respire.  Tout concorde soudain, c'en est presque inquiétant. Le verre de chouchen claque le bleu de la table, Le vert tremblant des feuilles caresse la pierre blanche du balcon des Beaux-arts, la fleur-coeur que le serveur trace dans le café tient parfaitement face au glaçage du carrot cake. 

Triple claque. 

Quand on a dix sept ans de Téchiné. Le trouble, la lumière, la douleur du désir, la neige. Le chaud froid souffle dans la salle, les poings et les baisers. 

Une Chienne, de Mouawad. Phède, Oenone, Aphrodite et Marie. Il y a tellement en peu d'espace qu'il faudra digérer. 

Une trop bruyante solitude de Hrabal mis en scène par Cyril Tournier avec Michel Laforest. Je découvre ce texte d'un auteur rencontré avec le roman Jarmilka. Un homme sauve des livres de la presse d'une usine de recyclage. Il les lit.Parfois, il les berce jusqu'à la destruction. Il boit des bières en attendant d'être lui-même écrasé. Inefficace. Peu rentable. Sa cadence devient insuffisante.

Triple claque. 
Sortir, sonnée, forcément. Et rentrer toute rougie dans le ciel qui a l'air de descendre ses couleurs jusque sur les joues. Nina Simone chante "If I die, and my soul be lost... ". Autour, il y a la beauté incroyable de cette ville que j'aime si fort, que je connais intimement mais que j'ai quitté il y a déjà longtemps. Qu'est-ce qu'on avait mis comme temps à s'apprivoiser. Maintenant, j'ai envie d'y tournoyer. Il y a un genre de joie ruisselant dans chaque cellule, tandis que je marche vers l'appartement. C'est presque douloureux Doux. L'or. Heureux. Houleux. Doulouheureux ou quelque chose du genre. 

Il est trop tôt pour dire si cette journée sera aussi déterminante qu'elle paraît l'être. Mais tout a concordé. 
On discute un peu et puis on peut aller dormir. Claqués. 

mercredi 13 avril 2016

#76 Une bribe de léthé

Dimanche matin, le long du tram, au soleil, croissants à la main. 

Plus tard, fou rire sur le canapé.  

Plus tard, sur les quais, des mots qui voguent au rythme du Rhône.

Plus tard, arriver exactement en même temps, place Guichard. 

Plus tard, couper des têtes à Guillotine, en regardant Kaamelott. 

Au soir, l'impression tenace que c'est l'été. 

Léthé, léthé... voilà que tout est oublié. 
Il faudra remonter à la nage le fleuve d'oubli jusqu'au mois de juillet. 

mardi 12 avril 2016

#75 Une bribe debout

Il y a du monde.
Il faut traverser la ligne de Robocops, vélo en main, pour le rejoindre. En l'attendant, les gens passent. Les jeunes, écharpes sur le nez, les plus âgés en chasuble. Les anonymes. L'accordéon dans cet angle où je peux mesurer l'ampleur du cortège, d'où je peux estimer la cohorte des fourmis qui fait un peu de sang noir dans les artères de la ville. 

Plus tard, elle arrive en souriant. La place n'est pas très loin à pieds. Elle se remplit tranquillement, comme une clepsydre nourrie de la nuit. Et se vide ensuite à la lune. C'est un peu brouillon et en même temps incroyablement organisé. Les quantités de légumes coupés et mixés, le drap tendu pour projeter Merci Patron ! et les sonorisations. 

Il n'est pas si facile d'y croire. C'est un peu long, et on répète parfois les évidences. On reste dans une forme d'entre soi. Oui, mais ça a le mérite de se construire, les discussions, de se tisser. 
Il y a du monde, déjà. 

#74 - Une bribe princesse Amidala

Tout crie, aujourd'hui, le sens que ça a d'être ici, avec ces gens.
 Ces gens avec qui décider au dernier moment d'aller manger au terrasse parce qu'ils fait beau. Ces gens qui racontent à la récré avec beaucoup d'humour comment ils ont reçu le kit Ess-ème (éviter les robots) destiné à un homonyme de la même commune. Ces gens qu'on croise par hasard en ville et qui racontent leurs rêves récurrents. Ces gens qu'on retrouve quand même en souriant, même si on s'est dit au revoir tard la veille. Ces gens qui interpellent joyeusement pour dire que c'est joli. Ces gens qui parlent des pièces de théâtre de la veille. Ces gens qui lisent des horoscopes en faisant des blagues douteuses le vendredi après-midi. Ces gens qui disent "some sugar ? no, you're the sugar" et puis ajoutent face au regard sceptique et amusé "franchement, sans poésie, ça vaudrait quoi la vie ?".

Ces gens avec qui vraiment, je me verrais bien travailler plus longtemps. 

jeudi 7 avril 2016

#73 - Une bribe de jeudi surchargé

Commencer à travailler vers 8h. S'arrêter à 22h et des poussières. Quelques césures, des jolies.

*

Au milieu, nous partîmes pour trois livres à aller chercher au CDI, à la bibli, à la librairie.
Mais par un prompt renfort, nous nous vîmes 4 pièces de théâtre, 3 romans, une revue et un recueil de poèmes en arrivant au port.

(En être faussement désolé)

*

Journée ras bord, mais sans ras le bol.
La chance aux cours tapés au soleil, au repas du bistrot belge à s'émouvoir en relisant pour le travail cette pièce connue par corps, aux collègues qui parlent de bouquins et de poésie (encoreencoreencore).

*

La fatigue semble se porter toute seule pour une fois.
Léger léger

Souffle (ffffffffff)

Les épaules redressées.



mercredi 6 avril 2016

#72 - Une bribe de Sebolavy

Grand soleil sur le jour. 

*
Ces jours, j'ouvre mon casier avec l'espoir fou que les grandes enveloppes marron qui annoncent des heures et des heures penchées au bureau à rougir sans relâche aient fini par se volatiliser. Elles restent là, ostensiblement, même pas dissimulées par un énième arrêté, ou un tract syndical. Ce matin, en ouvrant, il y a la BD dont nous avions parlé avec un collègue. C'est un bon début. J'embarque les enveloppes : avec la BD, c'est moins lourd à porter. 

*

Les corvées sont terminées pour le moment.  (Les enveloppes sont intactes, bien sûr, on y pensera plus tard). Il ne reste qu'à cuisiner de la vitamine D à coup de Perrier citron en terrasse, pour amorcer l'après-midi. Se donner des nouvelles avec Mélie même quand la connexion a l'air de rejoindre sa contrée en bicyclette.
(La longue discussion avec Celar toujours làlàlà)
Puis faire toutes ces choses du quotidien si valorisantes parce qu'elles ont une fin nette, qu'elles font une différence immédiatement visible, au contraire du travail souvent souterrain et sans limites. Ranger, faire le ménage. 
Semer des graines en mettant de la terre partout. 
Semis soucis. En terre, savoir que ça donnera du jaune, de l'oranger ensoleillé. 
Lire la Bd au soleil en écoutant le dernier Mickey 3D. 
Rallonger les rêves, leur donner corps. Aujourd'hui incarné et coloré. 

Ces beaux lavis. 

#71 - Une bribe de conversations croisées

Quelqu'un demande ce que signifie LOL, en buvant de la tisane, autour de la table. 

"Laughing out loud ! Eclats de rire, quoi. 
- Dis, c'est du romarin ? 
- Non, c'est de l'anglais."


(Se demander ce que ça donnerait, parler le romarin.)

#70 - Une bribe de lundi surchargé.

C'est plein à craquer, mais on pousse les obligations sur les bords de la nuit.
Pour rire un peu, quand même.

#69 - Une bribe d'autoroute

Changer d'itinéraire pour rentrer à la maison. 
L'autoroute, ça va plus vite, c'est vrai. Mais ce n'est pas le critère décisif ce jour là. Pourtant il y a le tas de travail qui attend et qui braille son cri de sirène stridente, celui qui donne envie de se balancer par dessus bord. On l'entendrait partout, même à une centaine de kilomètres. 

Ce qui décide, aujourd'hui, c'est de savoir qu'il y a cet endroit où le goudron plonge dans la roche et nous donne l'espace d'un instant l'impression que c'est simple, que ça va tout droit, qu'il y a une route tracée. Qu'on va d'un point A à un point B. 
C'est de savoir qu'il y a cet autre endroit où le goudron semble s'envoler, et qu'on regarde les forêts, les villages d'en haut, comme sur un rail aérien. Comme si on se jetait dans l'air. 

Pink Floyd, le live Pulse qui a bercé une partie du lycée. Aucune nostalgie, même quand les notes familières reviennent. "The grass was greener, the light was brighter..."

Même dans ce temps de novembre, barbouillé de marron et de vert qui bave de boue, même si le goudron plonge dans le brouillard ou le crachin plus que dans les airs, il y a quand même la sensation que l'herbe est verte, que la lumière est franche. 

Il suffit alors de deux panneaux A4 différents pour instiller un doute. Au dernier moment, décider de ne pas tourner en pensant à la ruelle, pas si loin. Allons-y, alors, surprendre le dimanche après-midi, parler des concerts de l'été, s'affaler sur le canapé. En repartant, il fera plus clair, on sera plus fort. 

Parfois, ne pas tourner, c'est quand-même bifurquer. C'est surprendre ce que l'on attendait. 


#68 - Une bribe du Bosquet

L'interphone a à peine le temps de sonner que le buz de l'ouverture résonne. 
La porte de l'appartement un peu vieillot est déjà ouverte, et juste derrière, il y a son sourire. 

Derrière la porte qui se referme, c'est un espace qui s'ouvre. Un de ces espaces qu'on ne requiert pas assez souvent sans doute, mais qui sont nécessaires. S'accorder ce temps là, se voir, parler des jours de maintenant, d'hier. L'écouter raconter des souvenirs déjà connus, et d'autres inédits. On parle un peu de ce qui se transmet, et comment, et si ça compte. Essayer de sentir un peu mieux cet héritage invisible. Saisir parfois un reflet, dans la malice ou la colère, dans une amertume ou une indépendance. Sourire, beaucoup, refaire le monde même si on ne l'imagine pas tout à fait pareil. (Ne plus hésiter à dire le désaccord, sans s'énerver pour autant, ici aussi).Mais c'est pas l'important. 

Et puis il y a ce regard qu'elle a parfois, en disant "C'est ma petite fille" ou en tendant des provisions pour le soir. J'espère avoir hérité de ce regard là. 

mardi 5 avril 2016

#67 - Une bribe de pendules (dés)accordées

Plouf. 
Une épaule qui tombe. Une goutte qui roule. 
Shirley demande "ça va ?" et voilà que Meryl se flaque soudain au milieu de ses collègues. Et ça l'énerve, ça l'électrise, à tel point que la main de Shirley ose à peine se poser sur son épaule. Elle n'en peut plus de compter tout ce qu'il reste à faire tout en comptant le temps et de ne pas réussir à mettre ces deux pendules à l'heure. Elle pense au départ, plus tard et se demande comment tout va rentrer dans la valise trop étroite de l'après-midi. Elle pense déjà à la semaine qui suivra et aux obligations qui s'empilent. 

Tout finit par couler à flot sur le carrelage vieillot. 
Mais soudain, les mots autour reviennent à son oreille. La sensation de ridicule et d'énervement finit par se dissoudre.
 Mary lui raconte ses premières années de boulot. Denise la réconforte. Il suffit de s'arrêter là et de remettre à demain, quand il fera moins embrouillé. Dave, interlocuteur privilégié en débats divers, lui sourit. Il pensera à lui envoyer un message au milieu du dimanche. Carrie lui raconte ce que le projet qu'elle a initié à donné de beauté et d'émotion, en disant "C'est grâce à toi.". Shirley et Bonnie lui montrent que ce n'est rien. Elles finissent par la convaincre. "Range tes affaires, on va boire un verre".


Meryl a peu a peu cessé de compter les heures qui manquent. Elle compte les gestes de douceur et les mots sucrés. Sans excès, mais empreints de sincérité.
Et les pendules se remettent à l'heure. 



#66 - Une bribe sur les pavés

A la rue.
Encore une fois.

Retrouver M. en amont. Apercevoir des élèves, de maintenant et d'avant. Et puis J, pas vu depuis longtemps. Il tend un tract qui ressemble aux discussions de naguère. C.est là, seule, de l'autre côté. Et puis P. rencontré il y a peu, avec qui parler Nuit debout, Podemos, et situation de l'Espagne. Il y a aussi le groupe des anciennes collègues. Et V. de l'atelier.
Avec S. nous parlons de nos joies respectives. Celle de rencontrer des gens connus, tant. Celle de voir des visages peu habitués aux manifestations.
Il y a du monde. Beaucoup. M, J, C, P, les collègues, V, S, et les élèves. Plus tous les autres.
La joie et le réconfort, autour des rages, d'être là, ensemble, de gronder de concert, tonnerre. De Brest ou de Bresse, peu importe. Ça résonne.
Sur les pavés et le béton, le cortège laisse des couleurs qui lavent la ville de ses pollutions blêmes. Des affiches, de la peinture. Et  ça se met à parler. A nous positionner plus que n'importe quel sticker "vous êtes ici".

Sur les pavés, chercher à tourner des pages.

lundi 4 avril 2016

#65 - Une bribe de colère dégoûtée

[TW harcèlement / exhibition dans l'espace public] 


Elle arrive au cinéma un peu en retard. Le film n'a pas commencé mais les annonces sont terminées. Elle s'installe dans la partie orchestre. Il n'y a qu'un couple. Au balcon, elle ne voit pas. 

Le film démarre, s'élance.


Et puis, un homme rentre par la porte de sortie. Il n'est visiblement pas dans son état normal. Elle ne réagit pas dans l'immédiat, mais bientôt, il avance dans sa rangée à elle. Une de celles du fond. Il ne s'arrête pas, ne s'assoit pas. Il traverse, vers elle, qui sent déjà l'embarras et la colère lui monter aux joues. Et voilà, un relou. C'pas possible ça ! Ramasser ses forces en un instant. 

Il est arrivé à sa hauteur et désigne le siège à côté d'elle. Demande s'il peut s'y asseoir. Il y a au bas mot cent cinquante sièges vides. "Mais bien sûr, pense-t-elle ! Bien sûr, je viens au cinéma toute seule dans l'espoir qu'un inconnu vienne s'asseoir à côté de moi". 
"Enfin, Monsieur, voyons..." C'est tout ce qu'elle répond. Rien d'autre ne sort, alors elle met tout dans son visage fermé et agacé et dans un geste qui désigne la salle vide. 

Il consent à se décaler d'un siège.
Elle sent tous ses muscles se tendre, se contracter. Oh non, non, il ne va pas rester là... Si. Elle commence à calculer le nombre de pas jusqu'à la porte. Le nombre de rangées et de sièges entre elle et le couple de devant, un peu loin, qui ne voit rien. Rester est malaisant, mais faire quelque chose paraît soudain risqué. Elle sait qu'elle est à portée de main. Elle se demande s'il peut avoir un couteau. Elle se demande s'il y a encore quelqu'un à l'accueil du cinéma. Elle se demande si le couple de devant réagira si elle crie. Pendant ce temps, elle est figée, crispée sur son siège, et elle s'accroche à l'écran même si elle ne voit rien. 

Il finit par se lever et tout retraverser. 
Le soulagement est de courte durée. 

Il retraverse la rangée derrière la sienne et vient s'asseoir à quelques sièges d'intervalles derrière elle. Elle reste immobile, tournée un peu de l'autre côté, pour qu'il ne puisse pas entrer dans son champ de vision et qu'il n'y ait aucun doute possible à ce sujet pour lui. Elle ne le regardera pas. Son visage a plongé peu à peu dans son écharpe, comme on se recroqueville dans une coquille. Chercher une bribe de douceur, quelque chose à respirer qui n'appartienne qu'à elle. Elle se tient toujours à l'écran en n'en voyant absolument rien. Toute son attention est dans ses oreilles, puisqu'elle ne peut pas voir, il faut bien trouver une manière de rester sur le qui vive. Elle entend un bruit métallique. Une boucle de ceinture. Et une fermeture éclair. 

Nonnonnonnonnonnon. Cela s'accélère. Les questions de tout à l'heure reviennent. Le besoin de s'enfuir en courant et l'impossibilité de le faire. Elle ne sait pas vraiment si ce qu'elle redoute se produit. Elle ne veut pas entendre. Ne peut pas se retourner. Elle ne sait pas ce qui se passe vraiment. Tout bouillonne. Elle pense qu'il faudrait simplement se lever et l'afficher, l'humilier, le faire fuir. Que sans doute il faudrait parler, calmement, fermement. Ou hurler. Que ça suffirait, certainement. 
Elle ne sait toujours pas s'il y a quelqu'un  à l'accueil. Et comment le couple réagira. Et s'il a un couteau, une bouteille, quelque chose qui pourrait frapper. Elle sait qu'il a des mains, des poings. 
Elle sait bien qu'il faudrait. Mais elle ne peut pas. Paralysée. Parce qu'elle a peur, qu'elle est dégoûtée, qu'elle est en colère. Monstrueusement. Elle n'est pas sûre de ce qui se passe, mais rien que le fait qu'il y ait le doute est inadmissible. 

Elle comprend aux sons que l'homme reprend ses affaires. "Y'a pas d'action", qu'il marmonne. Il se lève et s'en va. Elle ose à peine jeter un coup d'oeil pour vérifier que la porte de sortie s'est bien refermée. Elle aimerait partir, maintenant, des fois que quelqu'un revienne. Mais elle ne veut pas partir seule, des fois qu'il soit dehors. Alors, elle se relâche dans son siège et se remet dans le film. Cela n'a duré que quelques minutes, interminables. Finalement, elle semble se reprendre vite. Et le film n'est pas mauvais. 

En rentrant, elle jette des regards alentour, ce qu'elle ne fait jamais. Il n'y a personne. Tout continue comme si de rien n'était. D'ailleurs, elle ne pense même pas à en parler, sauf à des amies vues quelques jours après. "Ce n'est pas si grave, il ne m'est rien arrivé, finalement, je ne sais pas exactement ce qui s'est passé, c'était juste un mec paumé". 

Pourtant, quand un autre soir, des bouffées de colère et de tristesse remontent, ce moment là lui revient. Il ne lui est pas rien arrivé. Elle a eu terriblement peur, elle s'est sentie vulnérable. Avec cette conscience là, elle craint ce qui pourrait arriver en parlant. On lui donnera des conseils. Ce qu'elle aurait du faire. Qu'elle aurait du crier, appeler quelqu'un, se rapprocher du couple, être cassante, ne pas se laisser impressionner. Et puis elle n'est pas sûre de ce qu'elle a vu. La boucle de ceinture et la fermeture éclair, est-ce qu'elle est bien sûre ? C'était peut-être autre chose. Elle a peut-être imaginé, pas compris. D'ailleurs qu'est-ce qu'elle faisait seule, au cinéma, un soir ? Hein ? Et pourquoi elle n'avait rien pour se défendre avec elle ? 
Elle craint qu'on lui dise ce qu'elle s'est déjà dit, tout en sachant que ce n'est pas juste. Qu'elle n'a rien fait de mal. Et qu'elle a le droit de l'avoir mal vécu. 

Les conseils pour ne pas se faire "embêter" comme on dit poliment, elle les a entendus dans des dizaines de bouches, en public, en privé. 
Elle se demande simplement combien de fois on lui a expliqué, à lui.

*

Elle. 
Je. 
Peu importe l'énonciation. Presque toutes les femmes que je connais ont déjà vécu cette forme là de peur, cette même angoisse, dans des centaines de circonstances différentes.

*

(ElleJe a fini par en parler. Et tout le monde a compati, sans conseil déplacé. Se sentir tellement aidée-mée)


mardi 29 mars 2016

#64 - Une autre bribe d'affichage

"Tu sais Félixe, j'ai ramené des poèmes chez moi, j'ai mis les papiers dans mes plantes et j'ai envoyé la photo à mes nièces. Elles étaient ravies !" me dit P. dans l'odeur du café.

*

"C'est VOUS Madame, les poèmes affichés partout ?!"

*

"J'ai récupéré CetteClasseLà, et je leur ai lu des poèmes. Ils m'ont dit que CollègueIntimidant leur en avait déjà distribué une liasse !"

*

Alors qu'on est chacun sur le seuil d'une porte, O. m'arrête:

"Merci pour tes poèmes, Félixe, j'en ai ramené chez moi, c'est super. Même dans le couloir, les escaliers, je me suis arrêté pour les lire, et j'ai fini par me cogner dans les gens, mais bon... vraiment, c'est bien !"

*

Ne soyons pas complètement mièvres, la poésie ne changera pas le monde.
 Je suis tout de même ravie qu'elle aide à rencontrer les gens, même si c'est parfois en se cognant.
Ravie qu'elle continue sans cesse à changer le mien.

lundi 28 mars 2016

#63 - Une bribe de pas gentille

Apprendre à se carapacer,
                     se carapater
                                         en riant au soleil
Ne plus vouloir être gentille                          trop
Ou pas n'importe comment
Ou sans se sacrifier

Ou plutôt : sentir que la gentillesse vaut bien plus que cette acceptation indistincte

Ne rien brader, en donnant tout,
                        à n'importe quel prix

Enfin, sentir ce chemin là défriché
                                                   En riant au soleil





*
(L'avaient bien dit, Célar, Clo, Sandilla, Clé, T&A... - l'avaient bien dit et maintenant, ça se sait. Merci)

#62 - Une bribe de jeux démultipliés

Des cadeaux glanés dans les boutiques qui débordent de "oh, et ça, t'as vu ça?!", des carnets décorés, une table de petit-déjeuner avec du lemon curd, de la gelée de tomates vertes, un pot de nocciolata et du salidou en même temps, des retrouvailles dans la rue d'Or, un roman qu'on se lit tour à tour -oh si parfait (pour nous, aujourd'hui), des "cataplasmes de poésie"*, des discussions qui disent les déceptions, des collages à offrir, quatre tablettes de chocolat, "travesti de vos jouuuuurs, travesti de vos nuihihiiiiits", une cuisine qui s'éclaire, s'échauffe et laisse flotter une chaleur simple, un film lui aussi parfait (pour nous aujourd'hui, toujours), des lâchetés balayées d'un éclat de voix puis de rire, des trucs qui se disent, des bidules qui se taisent, des "c'est beauuuu" avec des minis trémolos et des "oh non :" insurgés, tout. 
Ce dimanche pascal ne ressemble à aucun autre.
Jouer le jeu, bien sûr. En suivant nos propres règles, si possible.


*Esmé Planchon

dimanche 27 mars 2016

#61 - Une bribe de 3:23

Il est tard,
Et même encore plus que
S. a posé des sardines en chocolat sur la table
On se mélange les conversations
Il est tard
Tard
Et même encore plus que
Parce qu'il y a eu les achats de dernières minute, 
Le bar 
à vin à quatre
à parler de philosophie, d'enseignement, de féminisme, de grève, de
a se parler, longuement

Il est tard et les mots s'échappent par les baillements
On fera mieux demain

vendredi 25 mars 2016

#60 - Bribes de sensations à la ville avalée par Pia

En dévalant les escaliers, les rues en pente douce, les allées, Pia entend chaque mouvement du tissu. Le sac lui revient contre la hanche, à intervalle régulier, ça fait un rythme sourd. Ploup Ploup Ploup. Ses chaussures noires ont été râpées par le sable. Elles font peu de bruit et donnent aux pas la légèreté, l’élasticité qui leur manque. 
Dans les oreilles, il y a les White Stripes, puis Tiersen, Eminem, et enfin Nina Simone. Aléatoire et pourtant tout lui va comme la robe, celle à rayures. Elle sent la musique lui couler sur la nuque, entre les omoplates, et la rendre à la danse intime des jours. Il faut refréner les gestes qui se dessinent dans ses membres et qui se pressent contre la peau, de l'intérieur. Ils seraient justes mais incongrus : c'est une petite ville, on ne sait jamais qui on peut bien croiser. 

Elle se sentirait presque jolie. Enfin, ce n'est pas le mot exact, mais ça s'en rapproche. Disons que Pia se sent évidemment là. Que ce qu'elle a aperçu dans la glace de l'entrée correspond à ce qui se file à tous les étages,  à cette audace conquise un écheveau après l'autre et l'air arraché aux lourdeurs des derniers jours. Bouffées de joie inexplicables. Elle a l'impression si rare de se ressembler, dans ce qu'elle a de meilleur. Alors tant pis si c'est trompeur. Si l'aileron noir au dessus des yeux triche un peu. Ses yeux s'envolent un peu plus haut. Tant pis si personne d'autre ne le voit. 

"Oh ! Que tu es jolie !" s'exclame C. en ouvrant la porte. 
Vanité légère, presque vanillée. Sans oublier le mascara ni la mascarade. 



jeudi 24 mars 2016

#59 - Une bribe de vanité

Depuis, il y a eu 
                       les premiers pas à ployer
             il y a eu les 
                       nuits de copies de
                       cauchemars
                       sensations d’incompétence
                       dilemmes cornéliens et élèves ramenés dans le cartable
                       heures au téléphone avec les parents à demander de l'aide pour
surnager
            il y a eu les conflits et les mots aiguisés plantés ici ou là
                      exclusions, excuses, colles et 
         
            il y a eu l'année des larmes
                       et un arrêt de trois semaines, pour arrêter de s'abîmer

                        et des moments à hurler, dans les poumons, la gorge, le ventre, la
                        classe pas
                        classe 
                        cours, cours
                        toujours
se demander si vraiment,
et pourquoi
et comment

alors quand elle interpelle avec un sourire large, qu'elle raconte "Madame, les cris de joie dans la salle, quand ils ont dit..."

ça se rappelle tout ça
mais avec,
        avec tous les autres éclats
                                                         de rire, de confiance
                                les tessons de verre finalement mis aux soleil, à chatoyer les côtes
                                ch'amarrer 

On n'est pas arrivé
Non, sûr que non
Mais c'était bien de tenir
                                    bon, et de découvrir ces justesses 
                                    là

(Et s'autoriser une minute de vanité)
            

mercredi 23 mars 2016

#58 - Une bribe d'immobilité

Parfois, il y a toutes ces couches d'immobilités, comme des enveloppes autour des organes, de la peau. Les fluides se figent un peu. Tout ralentit.
C'est l'image que je me fais de l'hibernation.
Certains jours, il faut longtemps pour les laisser glisser, une à une, pour que le sang cascade à nouveau plus vite, pour se lever. Faire ce qu'il y a à faire.

mardi 22 mars 2016

#57 - Une bribe de Dick Annegarn



"Bruxelles, ma belle..."
Chantonner dans sa tête, accrocher des poèmes aux murs, les recopier, les plier pour ne pas se laisser coloniser par tout ce qui émerge.
Pensées, mille.



lundi 21 mars 2016

#56 -Une bribe de lundi au soleil

Matin couleur citron, à profiter encore un peu du printemps tout neuf. 
Prendre le temps de petit-déjeuner en semaine fait l'effet d'un surplus infime d'existence, comme la pointe de caramel au beurre salé qu'on dépose sur la compote sans sucre. 

Cela se troquera bien sûr contre une journée sans déjeuner et une soirée au lycée. Mais c'est un prix juste. 

*

Les collègues qui piochent dans les feuilles éparses et les regards des élèves intrigués. De la poésie sur les murs. Respirer. 

*

En rentrant, il fait nuit depuis quelques temps déjà. 
Un personnage sur l'écran
"Je crois que ma vie leur semble vide et sans rebondissement". 
Sourire de l'avoir dit si souvent. Sourire en pensant à la vie aussi vaste que les steppes, les canyons et les montagnes. Et au plaisir que ça ne se lise pas, bêtement, d'un simple regard. Jouer les idiotes, n'avoir l'air de rien, l'amusement depuis longtemps. 

*

C'était un lundi ensoleillé, qui le sait ? 

dimanche 20 mars 2016

#55 - Une bribe de dimanche à s'étendre

Sur la place, ils arrivent, goutte à goutte. 
Ceux d'ici. Et ceux d'un peu plus loin - que jusqu'au dernier moment on n'était pas sûr de. 
Chacun avec cette envie de soleil et de brassées d'air frais, en terrasse. Le soleil est timide, et l'air un peu trop frais. Mais c'est un détail. Sur la table, les commandes se rajoutent. On joue au printemps. On joue aux beaux jours, oh les beaux, et ça sautille, comme des moineaux, de thé en Perrier, de cappuccino en gaufre, de la ville à la rivière. 
Il y a les cous qui se rétractent sous le vent en pensant aux écharpes restées au porte-manteau. Mais on ne s'en veut pas trop parce qu'on a laissé aussi les soucis aux porte-manteaux. Il y a les mains ratatinées de froid -  "je vais jeter mon mégot" dit-elle pour la deuxième fois. Il y a L. qu'on recroisera plus loin. Sur le coin des tables et des murs, des conversions qui pirouettent soudainement d'un sujet à l'autre. Et nos pas lents. La rivière a sorti ses verts, ses lumières, ses brumes. Encore un peu d'hiver.  
Etre là, ensemble, les mains sur les bras, les pieds dans le monde et les pensées hors du temps. On sait bien qu'on retrouvera tout au porte-manteaux. Mais il y aura un peu plus de force pour dérouler demain et se le déposer dans le cou, comme un refrain. 


#54 - Une bribe d'être vivante

Seulement ça.

être vivante

                                            (le droit d')



#53 - Une bribe de feu d'artifice impromptu.

Faire autant de route pour un navet ce n'est pas raisonnable.
Pas éco-nomique-logique.


Mais tout ça valdingue après la fatigue, dans la trace des spasmes , puis se dissout dans le camaïeu des bleus préférés, ceux qui résonnent absolument avec la lumière des lampadaires. Ceux qui continuent de filer des coups de poing à l'estomac.

(C'est peut-être ça, le truc, finalement. Trop de coups de poings à l'estomac)


(La blouse en papier qu'il fallait porter avait d'ailleurs une teinte agréable de ce genre, quoique moins nuancée - ça fait une chose à laquelle se raccrocher, le bleu du papier)

Sapristi, on avait oublié que c'était si fort.

Il restait une aiguille de culpabilité dans cette botte de bleu .Elle a disparu quand, dans un petit village au nord-ouest de la route, un feu d'artifice a surgi juste au dessus de la cime des arbres.

Alors, ça peut pousser, comme ça, un feu d'artifice, même si c'est pas la saison ?

Ralentir, quitte à emmerder la voiture de derrière, ouvrir les fenêtres en grand pour entendre les détonations et sentir la poudre.

En profiter tant qu'elles sont encore synonymes de joie. De peur qu'un jour la peur vienne gâcher la fête.C'est déjà le cas dans tant d'espaces.