lundi 13 mai 2013

Sur la voie du bleu #1 Magrittard

Je ne sais pas comment je me débrouille, à voler du temps pour l'écriture, c'est difficile, il faut l'arracher à petits bouts de dents, quand la fatigue met à nu, qu'il n'y plus que cette envie d'écrire et de danser, quand le noir de la nuit me protège des questions, m'évite de trébucher sur tous les cailloux d'interrogations qui trainent et sur tous les poings d'exclamation qui me déforment les figures. En fait, c'est moins souvent le temps qui manque que le courage et que l'espace de corps disponible. 
Mais peu à pas, cela avance, à travers moi. Il y a les fils et les squelettes qui s'accrochent et qui croissent, sur mes cils fatigués. Des fils et des squelettes qui grandissent côte à côte et me laissent les doigts pleins de poussière et de toile. Je m'en frotte les yeux, même si ça pique pas mal, parce que ça lave les volcans. 

Il y a quelques temps, je suis partie, dans le temps et dans l'espace, faire un voyage vers A. et puis vers de l'inconnu aussi. Sans attente, sans images préconçues, sans langue pour communiquer avec les gens dans les villes que je ne connais pas. Ni les gens ni les villes, je veux dire. Je me suis sentie vacantes, un peu perdue, sans savoir où donner de la tête et des mains. J'ai beaucoup parlé avec A. et puis après, avec C. qui nous a rejoint. Peut-être pour retrouver une langue commune à d'autres. Et pour se rassurer. Et pourtant, à l'intérieur, je me suis sentie souvent silencieuse. Loin, loin au delà des mots. Au delà des mots en écoutant ceux de A. qui se sont alignés sur le papier jusqu'à faire des colliers si poignants. Au delà des mots devant les medersas qui s'érigent dans le regard. 

J'ai compris devant les céramiques et les arabesques dont je ne me lassais pas, qu'A. avait raison un an plus tôt. C'est la voie du bleu qui me prend par le bras, sur laquelle je marche depuis longtemps. Il faut que j'aille sur cette voie du bleu, et ce n'est pas grave. Pas grave d'abandonner pour un temps la voie du rouge qui m'appelle pourtant depuis longtemps. Cela viendra en son moment. Petite au milieu de Chah-I-Zinda, je ne pouvais plus fuir. Plus tout à fait. Et j'ai compris aussi qu'il fallait, le long du bleu, emprunter le chemin de l'orange. Que je ne pouvais pas les séparer. Que c'était là depuis loin et que ça non plus je ne le savais pas. 

Tout ça pour dire : c'était ahurissant ce soir d'être dans un tableau de Magritte, au milieu de septembre, la lune en croissant entre les arbres et le bleu du ciel défiant les profondeurs.