lundi 10 décembre 2012

Lignes de fuite


De cet éclat des pages blanches. De ces pages sans traces, sans tâches, sans boutons sur lesquels appuyer pour faire tout sauter. Je ne sais si je cherche le lieu d'avant les mots. Ou bien le lieu au delà des mots. Je ne sais pas vraiment, d'ailleurs, si c'est un lieu, ou un temps. Peut-être s'agit-il même d'une autre dimension.

Eternal Sunshine of the Spotless Mind.

De cet éclat, qui n'est pas une cassure. Et de cette perfection inhumaine. Ni divine, non plus. Qu'y a t-il de plus humain que l'idée du divin ? Le rire ? La main ? Le doute ?  Le désir ? La fascination ? La guerre ? La morale ?  Le travail ? Le langage ? La mémoire ? N'est-ce pas un peu la même chose ? J'ai comme l'impression que tous ces mots se croisent, viennent diluer un de leurs coins dans un centre brûlant  dans un soleil, en fusion. Alors que  leurs spécificités demeurent en surface, comme des rayons sur lesquels on repose. Tous disent la rupture. La cassure. L'ébrèchement profond, celui qui fonde et motive.

De la page blanche, perfection, plénitude, infini. D'une forme de vie animale. D'une forme de mort. Au sens le plus beau et le plus désespérant des termes.

*

Depuis que je suis toute petite, l'idée de l'infini me terrorise. je la convoque souvent, et on bavarde. Je me mets dans tous mes états :  tout ce que je sens face à cet infini, c'est la limite et c'est la faille. Alors, quand je suis arrivée tout contre la peau, tout contre la blessure, on se dit au revoir.

Le reste du temps, je cours sur les lignes de fuite.

Je n'y peux rien, dans les tableaux, je ne sais pas rester au front. Il faut que j'aille voir plus loin, derrière. Il faut que j'aille me cacher peut-être. Et sans me vanter, je fais ça très bien, me cacher. Fuir. Fuir la peau et les plaies. Jouer à la balançoire sur les maux et les mots, vraiment, sans jeu de m, dans l'espoir et la crainte de me rapprocher, de m'éloigner, de sauter quelque part où enfin, le vide n'aurait pas de sol où se cogner. A la recherche d'autres mondes, à côté de moi, en dehors de la peau. Imaginer. Il faut que j'aille voir en dehors du cadre. Je déforme les mots, les phrases comme on tresse une corde pour s'évader. Mais toujours ce sont les mêmes mots qui me séparent et m'aliènent. En dehors du cadre pour inlassablement finir par y revenir, pour essayer de le remplir, de le faire résonner. (Et ne pas vouloir penser à Hegel en écrivant cela).

Le reste du temps, je cours sur les lignes de fuite.

Je comprends mieux pourquoi, adolescente, je voulais travailler sur la langue comme instrument de colonisation et de libération. Avais-je déjà compris confusément que cela dépassait le cadre de l'Afrique ? Que nous en étions tous là, au fond ?

Le reste du temps, je cours sur les lignes de fuite.

Ainsi abasourdie devant les tableaux abstraits, devant leur "ici" presque obscène. Prise au piège de leur présent tout entier et sans chemin vers l'extérieur. Tout est là, et nous voici forcés de regarder en face. Comme Méduse. Cette Méduse de Jawlensky, dont le regard si direct et si simple calcifie. Moi, je baisse beaucoup les yeux et je m'excuse pour un rien. Je m'effrite sous la vie. Quand le poème est, malgré ses silences, tout d'un bloc. Mais si la route est longue encore, il m'apprend à tenir comme un bruit blanc.

Le reste du temps, le reste du temps... 

Je me construis des grottes, et c'est encore une manière de fuir. Par la lenteur. Par la solitude. Je ne sais pas quand j'ai découvert que ces deux choses étaient de puissantes subversions. Se terrer, s'en terrer, comme on s'en ciel, à la recherche de la même chose, de ce blanc, de ce noir, de ce qui enfin serait sans bribes et sans fragment. De ce qui serait sans taille, sans limite. A la recherche dans mon corps de ce qui a tant troublé mon esprit. 

Et le reste du temps, j'attends. 

Quand on me dit que je "perds mon temps", je souris en pensant que c'est exactement ce que je cherche. Perdre le temps mis de côté dans des poches trouées, ne pas économiser chaque seconde mais les regarder frissonner comme les bulles. Intenable. Je ne sais pas ce que j'attends, je crois que je n'attends rien de particulier. Comme si attendre était une manière d'espérer, de désirer, et en même temps d'être là, dans un monde qu'on ne peut concevoir ni fini ni infini, et qu'on peut pourtant sentir battre et se taire, au même instant. J'attends, j'entends, je regarde. Mes yeux courent sur l'horizon. 

Et le reste du vent... 

Quand on dit que "le temps perdu jamais ne se rattrape", je souris. Comment croire que le temps s'attrape ? Qu'on peut y mettre un poing, et le tenir, comme un bouquet ? Certes, tout est immédiatement et irrémédiablement perdu. Cavaler sur les aiguilles n'y changera rien. Envie de sentir l'épopée minuscule qui ne cesse jamais. On peut être immobile, seule, et courir sous la pluie, et danser sous la vie. On peut-être immobile, seule, et sans cesse à l'aventure, à l’affût des déliés qui nous mèneront au plein derrière leurs jungles folles. 

Et peut-être au mitan, apprendre à demeurer, apprendre à devenir à la fois les lignes et le point, apprendre à être en perspective. 

vendredi 7 décembre 2012

Tard


Une tarte au citron
Dans une boite en carton.
Sur un sol fait de bois
Et de pas sans saison
Une tarte au « sinon »
Un éclair aux abois
Des miettes de raison
Et un papier de soie.

Une bouche au frisson
Dans un corps de typhon
Sur un bol de silence
Et un mas de maison
A voguer les tisons
Sur les éclats de chance
Des siestes de carton,
Et quelques pas de danse

Alors vient un poison
Dans ces bras de nylon
Laissant passer la lune
Un morceau de potion
Fondu sans oraison
Au delà de la dune
Des revers du siphon
Paré de peaux de prunes

Alors vient la moisson
Dans ces bras de coton
Laissant glisser la fête
Comme un bout de charbon
Étourdi de rayons
Paré de ses pommettes
Mais privé de son nom
En toute fin parfaite.  

lundi 12 novembre 2012

A Vapeurs

Quelques coups frappés à la porte
"Si" contre le dos, épineux
Juste avant qu'un "oui" ne la sorte
D'un repos solide et noueux

Le coeur se tord sous la poignée
Les yeux s'échappent de leurs gonds
Qui aura compris le premier
Que ce visage est bien le bon ?

Les doigts soudain sont tous cramés
La joue craquelle sous le regard
Et se mélange les apnées
Devant le corps tracé si tard

Le corps dessiné d'insomnie
A l'inconnu du bout des doigts
Convié dans l'antre, noirci
Par le sommeil et les abois.

Le sourire est fouillé, pillé
Archéologie de l'attente
Mais si la machine est rouillée
Que disait l'oeil ? Que dit la menthe ?

La bille a trouvé son chemin
Et le papier lui est donné
Dans le regard, encore un bain
Un sautillement, pointillé

Et la porte comme une paupière
Claque, interdite, sincère
.Laissant au vent les quelques lierres
Qui s'enroulent au chemin de fer.






jeudi 8 novembre 2012

Logo-rallye musical #1 - Les champs sont fertiles ?


A défaut d'avancer sur le NaNo, je m'amuse avec les consignes oulipiennes. Ce soir, logo-rallye musical. Je lance une liste de chansons francophones. La règle : écrire un texte en intégrant au moins une expression ou une phrase de chaque chanson écoutée, et ce dans l'ordre, en même temps que passe la chanson en question. 


"La ville aval[ait] ses voitures comme un long ruban d'étincelle" dans mon crâne. Et l'ombre de la campagne environnante me vrillait les oreilles. Dans le soir, cette campagne a le calme un peu inquiétant. Ou apaisant, c'est selon. Comme il n'y plus de lumière après vingt-trois heures, les pensées des habitants encore allumés se projettent par la fenêtre. L'hémisphère tout entier se voit repeint, comme les murs de la chambre sous la lanterne magique. "Dans le couloir et les vieux escaliers du corps", le ciel, lui aussi, fait ses roucoulements d'ombre, ses volutes de pupille. Et il grince des dents contre les os de feuille qui tremblent. A cette heure, cette heure qui n'est jamais la même sur l'horloge, les lumières de paille se blottissent dans l'encre. "Pas de goutte, ni de danse" dans le village dépeuplé, mais mes yeux photophores laissent glisser le ballet des feux de croisement et des feux tricolores des villes hémorragiques sur la fin de journée. Ma tête est une ville dont je ne connais toujours pas le nombre d'habitants. Non, je ne suis pas toute seule. Mais combien sommes-nous, ainsi blottis, aux lisières de la nuit ? "Ernestine, tu entends des voix, reste digne", me rappelle parfois un ami. J'entends à son air inquiet qu'il dit "des voix" avec un "x", alors que moi, je dirais plutôt des "voies" avec "es". Ma tête est une ville, avec des chemins de traverses, et parfois quelques quatre-voies. Une ville entre Saint-Cirq-Lapopie et Los Angeles. "Et le corps au calme comme sur ces îles", ce corps qui soutient ma tête, est une argile, un morceau de terre, dans lequel le végétal a planté ses dents, profondément. Entre les collines, leurs vignes, et les bois aux cimes illuminées, des villages se cachent, accueillants, discrets, éteints si tôt la nuit. Il y a aussi des torrents, ces torrents de montagnes, qui me parcourent au printemps, et qui s'amenuisent, en veille, l'été. Mon corps et ma tête sont comme un pays, "avec un nom qui fait mal". Mais qui vibre sous la langue comme des piments oiseaux.
"L'amour t'a faussé compagnie", me susurre ce nom. "Pas vrai, que je lui réponds sans me démonter, même pas vrai. Sans amour tu crois qu'il y aurait ces ponts et ces fossés, ces colchiques dans les prés ? Même "l'aube en sort toute retournée". Il faudrait être aveugle, pour passer à côté." Pourtant, loin, une racine frémit de ce vent interrogateur. Comme on lève un sourcil, comme un creuse une ride, le doute très léger sous la voix forte. Si l'amour avait déserté mon pays, s'était retiré comme une vague, hors de chez moi. Poussé dehors par ces choses, "des choses qu'on ne donnerait pas pour rien, comme ça". Des choses avec des tessons et des boucles dorées. Des choses chauvines, qui recréent parfois des frontières de vitre à mon pays qui a tant essayé de s'en débarrasser. 
"Pas si tristes, finalement", répond l'océan qui roulent des cailloux dans le plein de mon ventre. Que ce soit cet oragé de premier plan qui se hasarde à me répondre est bien le plus rassurant. Les arbres acquiescent  en un murmure de choeur. Et, rassénérés tous, "quand ils meurent, ou s'endorment, c'est dans la chaleur" de leur propre voix, celle qui nous berce, la ville et moi. Le sommeil me tire les cils par la manche. Les boulevards se vident, peu  à peu. La quatre-voies aussi. Tout est plus calme, et un instant, il suffit de croire au silence. "Il me semble l'entendre gratter à ma fenêtre". 


Et par ordre d'apparition : William Sheller, Allain Leprest, Bertrand Belin, Noir Desir, L, Michèle Bernard. Alain Bashung, Yann Tiersen, Noir Désir, Thomas Fersen

mercredi 31 octobre 2012

L'aube à minuit

La nuit est claire. Si claire, si tendre, que c'est le goût de l'aube qui enrobe les cembres. Le goudron se déroule dans la lumière d'hiver. Dans l'impression de vie polaire. Les arbres comme des morceaux d'encre, enfilés sur le front des collines, se détachent sur la rétine  Bien assise au théâtre d'ombre, je me réjouis du bleu pierre, de ces paysages déserts. Et seule au monde, je redessine des forêts, des vallons, des maisons, des mappemondes  et des lampadaires. Et la plaine, comme à la bougie, m'offre ses puits et ses replis. L'envie d'une couverture, et de veiller. De regarder des heures durant le ciel comme s'il allait se lever. De vivre encore un peu l'autre côté du miroir que me propose le soir. Auquel m'invite le bleu des échymoses. J'ai pris tous les prétextes pour enrouler la route, pour enrôler les doutes encore un peu plus loin. J'ai pris tous les prétextes, au fond du coffre, pour découvrir le vert sous son jour le plus nuit, sous ses airs les plus bleus. Pour regarder les villes inconnues enfin éclairées. Dans ce pré, je me souviens, les deux ânes embrassés. Et je m'amuse des vaches, blancs fantômes de peau, debout contre la suie. La nuit n'a plus qu'un oeil, je me demande qui a bien pu crever l'autre. Qui a bien pu fermer la lune dont on sent encore l'ombre s'échapper. Une pour deux, il faut admettre qu'il y a un vide. Une pour deux, il faut permettre les quelques rides. Une pour deux, dans la nuit d'hiver, polaire, désert, lunaire. Claire. Claire est ma nuit, je l'ai toujours dit.  

jeudi 25 octobre 2012

Les Filles de Taire


Mademoiselle,

Je vous écris du bout du temps
Du bout du monde, accessoirement
De ce confin , comme insulaire
Où je désert en ce moment.

Parce que j'entends la voix qui
M'est si familière, m'est si
Lointaine, autre, qui m'est si chère
Cela me serre, cela me suit

Je pensais à ces vieux tourments
A mes émois adolescents
A cette rencontre naguère
A l'atmosphère, aux belles gens

J'étais triste, un peu ahurie
Je logeais des poumons de suie
J'étais triste et j'étais sincère
La gémellaire au fond du puit

Et vous, vous aviez du talent
De la patience, tempérament.
De votre présence temporaire
S’aère mon phrasé ciment

A voix ouverte l'heure s'enfuit
Se dessinent les embellies
Résonnantes et printanières
Je m'affaire à bruisser d'envie

Croire et croître vers un avant
Au milieu des mots qui, dansant
Me fleurissent à la boutonnière
Que m’indiffèrent les passants.

Et voilà que je suis partie
Vers d'autres verres, vers d'eau de vie
C'est ce que font les filles de l'air
Les costumières qui s'enfuient

Vous avez quitté un moment
Après ce lieux de mes seize ans
Et les années font des misères
Aux pairs qu'on échappe dans le vent

J'envoie toujours mes mots-toupie
Jouer le monde à la bougie
Je vague baléinoptère
Ephémère atome qui sourit

Aucune pitié pour l'antan
Il s'est accroché si longtemps
Au cou du frêne centenaire
Si poussière, plus rien n'attend

Que cette pause boitillement
Sous l'aile légère des gréements
Pour vous saluer femme terre
Dans l'aire de nos cheminement

Si les aiguilles aguerries
Ne croisent ni le pas ni l'abri
Des fils, écailles, embarcadères
Ni les nerfs tressés sous les cris

Si on ne recroise vraiment
Ni les sourires, ni le chant
Ce brin de jour, cette lumière
Un réverbère pour les absents

jeudi 11 octobre 2012

An-agile

Alors, il y a ce moment
Où l'eau se retire
Aux abords de la peau

Où l'argile
Resserre ses grains
A celui de la peau.

Elle la tend
Vers l'intérieur
Insensible, au dehors

Elle la rend
Intérieure
Chevillée au corps.


Et le doigt ne sait plus
La steppe où il chemine

Les vaisseaux battent
Plus fort
Mais tout est immobile
En surface


Plus intime, étranger
Plus vivant et figé
Dans l'argile de nos traces
Qui se rappelle
A l'autre masque

lundi 8 octobre 2012

L'oiseau du lundi soir

Les yeux au sec
Et le pare-brise
Baigné de larmes
Dans la bise
Du soir

Les cieux au bec
Quand le phare crise
Peigné de lames
Dans la mise
En foire

Les lieux dissèquent
Quand  le tard prise
Saigné de l'armes
Et de cerises,
De loirs.





vendredi 5 octobre 2012

Je suis née un jour...

... mais seulement à un quart. 
Née à la poésie, aux mots, aux récits, au bleu de l'encre, . Je suis née et la route est longue encore. Quelle joie, la route devant soi. Alors voici des mots, du moins, voici ceux que j'emprunte. J'essaie de ne pas les rendre tout à fait dans l'état où je les ai trouvés. Parfois un peu délavés, parfois un peu écorchés - ce n'est pas toujours fait exprès - et j'espère, parfois, un tout petit peu plus forts. Juste pour faire résonner le silence qui les entoure. 
En suspension, vers ces trois points sur lesquels il me reste encore à sautiller, avec vous, je l'espère. A bientôt.